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Re: [rue] [Listenationale] De Belles Sauvages


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  • From: Anna Delpy - Grand Colossal Théâtre ( via rue Mailing List) < >
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  • Subject: Re: [rue] [Listenationale] De Belles Sauvages
  • Date: Wed, 23 Mar 2022 10:24:09 +0100
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Oui merci copain pour ce récit comme si on y avait été.
Impossible pour moi de vous y rejoindre mais à force ça intrigue tout ça héhé
Belle et sauvage journée à tous et toutes

Anna Delpy

Diffusion

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Grand Colossal Théâtre

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Le mar. 22 mars 2022 à 17:58, FREDERIC via Listenationale < "> > a écrit :
Merci Ch’tou
Merci les belles et les beaux sauvages
encore plus triste de n’avoir pas pu vous rejoindre
mais ce n’est qu’un début 

amitiés à toutes et tous

FRED 



Je suis mal assis sur ce fauteuil, crevé par un mois bien rempli, l’autocar est bondé, et on escargote au cœur de la Lozère sur des crêtes grises, sous la lumière crue de la pleine lune… 
Putain, la Lozère, carrément…
C’est long. Très long.
J’aime bien.

Tu sais, la moyenne pour un Français c’est 35 minutes par jour, sur Facebook. 
Je ne sais pas combien de temps on passe en moyenne par post, mais cela doit se compter en secondes. Donc le nombre de posts qu’on scrolle tous, durant ces 35 minutes, est tout simplement faramineux, c’est de la syncope informative.
À bien y réfléchir, on peut se dire que la proportion de choses sans intérêt qui défile sous nos doigts est directement liée à notre avidité de choses intéressantes. 
Qui exclut le temps long, qui permet aux choses de devenir intéressantes.
C’est un peu comme si au dessert, tu choisissais entre t’enfiler rapidement dix bonbons chimiques aux couleurs et aux goûts différents, ou savourer une seule bonne part de gâteau au chocolat. 
On est vraiment dans l’époque du café gourmand. En fait c’est nul, tous ces mauvais mini-desserts, on aurait dû rester sur la tarte aux pommes.
Tu me pardonneras donc de choisir la tarte aux pommes, pour te raconter les Belles Sauvages. 
Tiens, un dessert pour deux, chacun sa cuillère, on est pas bien là ?
Bienvenue à toi, si tu prends ce temps, mon ami. C’est pour toi que je vais raconter, parce que tu n’y étais pas, et que pourtant, c’est ton histoire. 
Il y a des fondateurs ridés, des enfants hirsutes micro à la main, des femmes aux seins nus et aux regards noirs, des clowns bourrés aux cœurs battants, il y a des vieux et de jeunes fous, une grande famille, des morts et des vivants, il y a des erreurs, il y a de l’espoir. 
Dégustons-le ensemble, mon frangin, ma frangine… 
Tu vas voir.
Il y en a une belle part.

Mais pourquoi Mende ?
C’est fou, cette lune qui s’élève des pinèdes noires, elle est ronde comme la panse du loup du Gévaudan. 
À côté de moi, Eric me raconte sa vie sans s’arrêter une seconde. Il parle fort, prends beaucoup de place, mais qui est ce type ?
Retraité, il est descendu de Chantilly, au nord de Paris. Ce n’est pas un artiste, pas un admin. Un spectateur ? 
Je creuse et je capte le lien avec nous : il a participé à une marche avec la Francomtoise de rue, l’été dernier. 
De village en village, ils jouaient le soir des spectacles préparés sur mesure, cela s’appelait « la marche de la tranquillité ». Punaise, ça l’a transformé !
Bien sûr, il a flashé sur Livchine, qui ne flasherait pas sur Jacques ? Sacré Jacques, je ne sais pas combien de personnes comme Éric il aura emportées dans le sillon de sa truculence.
Éric a vécu quelque chose de très fort, de collectif, avec cette marche. C’est comme si tous les gens du théâtre de rue de l’Est de la France comptaient maintenant parmi ses amis. 
J’étais un peu prudent au début avec l’énergumène, et puis on rentre dans l’intime, je le questionne, il me dit ses difficultés, intarissable, la mort de son père, sa dépression, comment il s’en est sorti, il se livre, une larme perle au coin de ses yeux.
Bienvenu, mec. 

En pleine nuit, on finit par arriver. 
Toute l’équipe est là, accueillante, on nous serre dans les bras à peine arrivés, déjà un hymne est lancé qui tourne en boucle. 
Avec nous, les voyageurs par train, tout le monde est là, on repart donc tous dans la foulée et dans la nuit pour 20 minutes de lacets à travers la pampa.
Dans le Théâtre municipal de Bagnouls, le Rude Boy Crew a dressé des tables, il y a de la soupe, du pain, des salades, du formage, l’auberge espagnole a super bien fonctionné, un bar enguirlandé distribue la bière et le vin bio. 
En deux minutes je me tanke derrière. Banzaï.

Ça me permet un tour d’horizon, il y a bien entendu la petite clique qui a tout géré depuis le début, et pas mal de monde arrivé dans la journée. 
L’hôtel du bled, parce que c’est vraiment un bled, est rempli à 95 pour cent par les Belles. Le Rude Boy nous a négocié entre autres de super tarifs, ici.
Tout le crew n’est pas là, et je regrette Baloo, le géant tatoué si généreux, en revanche on aura Seb et Anthonin avec nous durant tout l’événement. Discrets, efficaces. 

Le Rude Boy, c’est à la fois un super festival dans ce coin perdu du bout du monde, mais aussi une équipe déco qui fait un boulot magnifique, tellement qu’elle s’est créée en entité à part.
Perdus où ils le sont, ils ont réussi à drainer autour d’eux toute une bande de jeunes, devenus supers actifs, et à créer une dynamique culturelle.
On n’est plus au temps des premiers jours, certains commencent à avoir de la bouteille et à prendre des postes importants dans la région. 
Comment l’aventure d’une clique d’amis peut en venir à influer sur la vie de chacun d’entre eux... 
Oui, au début, c’est un raïa qui veut juste faire la teuf et inviter des artistes dingos. Et puis les années passent, et la bande de potes, riche de ce que ses folies ont créé, devient une bande d’artistes, de techniciens, d’acteurs culturels.
C’est nous aussi, ce genre d’aventures.
Nous inventons souvent nos métiers, sans école, sans diplôme. Nos compétences sont les évidentes conséquences de nos passions. 
Il ne faut jamais sous-estimer la puissance transformatrice de nos fictions communes. 
On m’a souvent dit « quand j’ai vu ton premier spectacle, je me suis dit que c’était ce que je voulais faire ». J’en ai autant pour certains. 
C’est aussi ça, nous, on s’élève par appel d’air.

On finit par fermer le bar, je n’ai pas eu le temps de parler avec le dixième des gens présents.
Mais bon, tout le monde préfère se réserver pour demain, il est un peu tard, mais pas trop, en fait je ne sais pas vraiment, parce que moi, j’ai toujours un peu de mal à me réserver pour demain…

Et puis ça y est, on est le jour J.
Les dieux de la rue nous ont été favorables, il fait un soleil radieux. Un coup de bol notable dans la région en ce moment. 
Le ciel est totalement dégagé, on pensait se les cailler, mais il fait carrément bon.
Tout le monde jubile.

On grimpe dans les camions et on se retrouve tous à Mende (mais pourquoi Mende ?), sur place on a plusieurs salles qui nous servent de loges et de QG d’organisation.
Perrine est sur tous les fronts, mais avec un sens du collectif rare et précieux.
Perrine est magnifique. 
Je ne sais pas si vous connaissez L’art Oseur, en fin de compte je les connais très mal artistiquement parlant. Mais je suis heureux de les avoir rencontrés humainement, à Strasbourg, l’an passé, du moins une partie d’entre eux, ce dessinateur, tellement gentil.
Perrine mérite quelques louanges ici, parce qu’elle prend une place naturelle dans l’orga des Belles, celle d’une référente douce et attentive. 
Elle s’est énormément impliquée, même si elle n’est pas la seule, et un son esprit de synthèse ainsi que son intelligence sociale nous la rendent précieuse. 
J’ai une profonde affection pour Renaud, son compagnon, qui me fait l’effet d’un vieil ami sans que nous nous soyons pourtant fréquentés. 
Un talentueux pianiste, mais surtout un homme sur lequel on peut compter, constant. Il fait partie de cette génération qui a plus de deux décennies de rue dans les yeux, et ça y flamboie avec chaleur. 
Autour d’eux, j’oublie ou je mélange rapidement les prénoms. J’oublie toujours les prénoms, jamais les visages. 
Mes excuses ici pour vous toutes et tous, que je ne citerai pas de peur de me planter ! 

Le piano des Arts oseurs ouvrira la marche, et tout comme à Aurillac pour la Manifestive, prendra une place poignante en fin de parcours, avec un discours de Perrine mis en musique.
Derrière, les copines, de blanc vêtu, sont radieuses, solaires. Elles soutiennent au cuivre, avec écoute et puissance. 
Une énergie magique tout au long de l’organisation, de la déamb et jusqu’à la fin, vraiment, la générosité de ces filles était palpable.

Oui, il y a une tripotée de nanas dans l’orga des belles, quasi la totalité. Un tout petit peu trop féministes à mon goût, parfois, c’est excluant. 
L’écriture inclusive en fait, je trouve ça excluant. D’ailleurs ce n’est pas un collectif, c’est une collective, c’est te dire ! 
Mais bon, je n’en veux à personne, je les trouve juste malaisants ces débats de genre qui ne me concernent pas et qui me saoulent un peu. 
Oui je sais c’est pas bien de dire ça. Mais je m’en fous, c’est moi qui raconte. 
Meufs ou mecs, les Belles ont de la gueule, et j’aime bien les gens qui ont de la gueule, c’est tout ce qui compte pour moi.

Ça fuse de partout, je me colle avec David Cherpin à ranger toutes les propositions artistiques sur le schéma du parcours. Punaise y’a au moins 25 propositions ! 
David est aussi un sacré atout pour les Belles, lui, on le sait, c’est un solide esprit.
C’est en son nom que la manif est déposée, et ça c’est la classe, parce qu’il est le responsable juridique si jamais il y a un truc qui merde. 
Il va au-devant des flics dès qu’ils apparaissent dans les radars, et les gère avec un calme absolu. 
Voilà, c’est ce le genre de mec, celui qui s’occupe de ces trucs et où tu te dis qu’heureusement que c’est lui plutôt que toi.
David pour moi c’est la fédé bien sûr, un militant ardent. Mais c’est aussi un mec qui a un regard acéré, critique sur cette fédé, et c’est toujours intéressant de le lancer sur la politique culturelle ou les améliorations possibles en gouvernance, je vous conseille de le brancher là-dessus, à l’occasion. C’est aussi un fervent défenseur des accompagnateurs d’artistes, ceux qu’on nomme de plus en plus, et ça l’énerve, les développeurs de projet, en réalité ces administrateurs-chargés de diff multifonctions qui n’ont pas de métier…
Les aides covid n’ont ciblé que les artistes… 
Cafés culturels, paniers culture, effènessuvé et les trucs comme ça, ne concernaient pas les cachets de chargé de diff, qui font bien partie des équipes. 
Il y a un métier à défendre. 
Des sujets passionnants à aborder, qui affleurent comme ça, derrière une bière…
Notre mouvement compte des techniciens pointus, comme lui. 
T’as vu, on n’est pas des branquignoles, quand même, ensemble !

Ça brasse dans tous les sens. Dans les loges, ça se maquille, ça se vêt de peaux de bêtes, des camions arrivent avec des troupes fraîches, des dizaines de gens gèrent des dizaines d’urgences, et puis on se retrouve à remplir tous ensemble le QG, on remplit la pièce comme un œuf. 
Je grimpe sur la table le carton à la main, et c’est parti pour le brief général avec Perrine et David.

Bien sûr, on s’est bien marré.
Les propositions c’est du n’importe quoi. Entre la gestion de foule au casque, le cours de Chikong à Intermarché, les tambours des Trans-express, il y a Marie-do qui veut se faire tondre et Didier le petit robot, bref, c’est un joyeux bordel. 
Et le pire, c’est que ça ne nous fait pas du tout ciller. 
Tous ceux qui veulent proposer un truc sont les bienvenus. 
Pas de jugement, pas de hiérarchie, horizontalité totale sur l’artistique.
Ça aussi c’est nous, mon ami.

Je me souviens d’un court brief en tête à tête avec le lead des tambours.
Un mec efficace, au regard clair. Je lui explique tant bien que mal les arrêts, les moments calmes attendus, et puis ça s’étrangle un peu, je suis un peu confus, normal, c’est à moitié de l’impro tout ça…
Il me regarde droit dans les yeux et me dit « bon, ben on reste à l’écoute et on y va, quoi ?! ». Je souris. « Voilà ».
Ça aura été énorme d’avoir les tambours. Putain quelle énergie ils mettent ! 
Bon, parfois ils ont bien foutu le bordel. On devait avancer, ils te bloquaient le public, voire ils le faisaient carrément reculer, il fallait descendre le bruit, mais ils terminaient leur séquence en frappant comme des dingos sur leurs caisses claires… 
Mais en fait ils avaient bien raison. 
Leur truc est calé comme du papier à musique et ça dépote, tu ne coupes pas cela comme ça. Ils ont dynamisé de folie, fait de belles images, ils balançaient de l’énergie, grimpaient sur des espaces, ils serpentaient parmi nous, punaise, ils ont joué quasiment pendant trois heures !
Gilles Rhode… Putain Gilles Rhodes quoi…
Ce type a un feu intérieur incroyable.

Dès les premiers instants, place du foirail au moment du départ, je suis monté sur les marches que domine une statue de jésus. 
Les flics sont là à 10 m, toute la procession est rassemblée et je dois prendre la parole pour lancer le départ.
Au fond, il y a un ours de 3 m en végétal, il y a Marie-do habillée en rouge avec des cornes gigantesques sur la tête, les crieurs publics d’Opposito tout classes avec leurs grandes ombrelles, le piano, ça brasse de partout, je prends le micro et je braille pour célébrer nos retrouvailles et dire que nous sommes fiers, que nous sommes fiers d’avoir nos anciens avec nous !
Et Gilles ni une ni deux, il monte à l’assaut de jésus, au nez des flics, voilà le bonhomme avec sa bouille de diable qui grimpe sur la statue, ovationné par la foule.
Pendant toute la procession il grimpera partout, sur les poteaux, dans les arbres, il essayera même de déboulonner des panneaux devant le nez des flics, il coure partout, il donne de grands coups de cymbales, c’est un clown surboosté, un shoot de dopamine à lui tout seul. 
Et je peux vous dire que le soir à la teuf, ils n’ont pas mis à côté les Trans. Bordel, vieillir comme ça, mais je nous le souhaite à tous !!

C’est le moment pour les vieux.
Un peu avant qu’on parte, on a sorti de grandes tables de bois, dehors au soleil, pour manger tous ensemble. 
Il y avait un marché pas loin, et comme c’était autonomie pour la bouffe, tout le monde est parti acheté des trucs. Je ne te raconte pas la tablée pantagruélique, il y en avait de partout ! 
Du gratin de courge, des morceaux de tomme énormes, du jambon fumé, des pains gigantesques, partout. 
Je me suis amusé à passer devant les tables. On commençait à être un paquet. Et puis tout au bout là-bas, j’ai été saluer Cathy de Générik que je n’avais pas encore embrassée. 
Elle était venue, Pierre Berthelot aussi. À cette table il y avait Pascal Guennec, et puis Jean-Marie Songy, et Brigitte du Trans-Express, et Jean Raymond d’opposito, etc. bon tu vois la clique… Hé quand même merde, ils étaient là les pionniers !
Là on est sur un plan qui est une vraie prise de risque.
Personne n’est payé, personne n’est en sécurité artistiquement, personne ne sait comment ça va se passer, d’ailleurs non seulement on n’est pas payé, mais ça nous a coûté une blinde de venir. 
Ils n’ont rien à prouver, les vieux.
Si ils sont venus, c’est parce que ce mouvement, il leur importe vraiment, parce que ça leur importe vraiment de soutenir une initiative comme celle-là, qui vient pourtant d’une génération postérieure, ils sont à l’affut de ce qu’on pourrait vivre de neuf, d’hors cadre (héhé, je ne parle pas de la sub des cnareps !), ils n’attendent que cela que nos libertés nous débordent !
Longtemps je les ai vus comme une loge un peu hautaine, je me disais que ces grandes gueules devaient bien se la péter. 
Nous voilà, on discute, on trinque, et il n’y a pas de jugement, il y a de la solidarité.
Franchement, on a de beaux anciens.

Bien sûr, chacun veut écrire l’histoire à sa façon, je parle pour moi aussi.
J’aimerai bien qu’un jour, une contre histoire des arts de la rue démystifie les grandes formes (c’est bon quoi, toute la gloire est pour eux parce qu’ils sont pachydermiques !) et rende honneur à la masse bouillonnante des petites formes née au tournant du nouveau millénaire, qui ont fait la réalité, sublime et modeste, de la rue depuis 20 ans.
Si seulement j’avais eu plus de temps, j’aurais aimé en parler avec Stéphanie Ruffier qui était là aussi. 
Elle a des archives incroyables, textes, vidéos, sur notre histoire, et donne un cours de 25 heures de contenu à la fac, sur celle-ci. Incroyable, je le découvre. 
On a aussi des nanas comme elle, dans notre famille, des puits de science.
Voilà, j’encensai les vieux, et j’ai l’air de leur mordre les mollets.
En vérité, je les aime bien. Mais je nous aime tous.
D’ailleurs tu vois, il y a Steff d’Albedo qui est là. Lui aussi c’est un vieux de la vieille, ils ne font pas dans le gigantisme, mais vraiment pour moi la rue c’est eux.
Les Tonys seront partout pendant la déambule, toujours à sécuriser ceux qui prennent la parole, à surveiller, placés aux barrières, sous les porches, ils sont à la fois super visibles et super véloces. 
Le spectacle increvable, comme la carte du mille bornes.

On s’est élancé dans une ville qui semblait vide.
Personne.
Pour un samedi après-midi, franchement, c’est le désert.
Mais… pourquoi Mende ?
Brigitte l’a dit d’ailleurs avec justesse, ce sont les habitants qui nous ont manqué.
Si l’on doit se faire un reproche, c’est de nous être retrouvé pas mal entre nous.
Sachant qu’on peut carrément se féliciter de nous être retrouvé entre nous !
C’est sûr qu’une prochaine fois, faire ça là où il ya plein de monde, ce serait quand même vraiment grisant. 
Plus difficile pour chopper les autorisations, plus dangereux pour la sécu, mais plus abrasif, plus politique ! 
Tu viendras ?

La ville, elle n’est pas restée déserte longtemps, parce qu’on a mis un beau bordel.
Il fallait la voir cette procession improbable !
Un carnaval des fous !

J’ai adoré ce qu’à proposé Bertrand, qui était déjà la à la manifestive.
Il a équipé des dizaines de personnes en casque, et il les dirigeait comme un chef d’orchestre. Parfois ils chantaient parfois ils se mettaient à courir, nous traversaient, créaient des effets de chœur improbables.
J’ai toujours regardé ces propositions casquées avec un peu de défiance, ça faisait gadget à mes yeux. 
Là j’ai vu un vrai spectacle de rue, ça dépotait les mouvements de foule qui se créaient.

Il fallait rendre hommage à Jean Gorges Tartare à un moment.
Avec David, on a regardé le parcours, et bien sûr on s’est dit qu’on n’allait pas faire ça à la cathédrale. 
Pour lui, on a plutôt, choisi la gare routière.

Et nous voilà devant la gare routière.
Il fait un temps magnifique, une des filles des crieurs d’opposito me couvre de bouts de bois et d’herbe avec grâce et malice. Ils étaient dignes et superbes ces crieurs, avec un vrai sens du placement et de l’image. 
Sur le piano, une femme en blanc dit magnifiquement un texte vibrant, Pierre Berthelot, vieil ami de Tartare, en dira un autre, et puis voilà qu’un enfant blond monte sur le piano. 
Il a quel âge, je ne sais pas, 8 ans ? Ces longs cheveux blonds en bataille lui tombent sur les yeux, il a des guêtres en peau de bête, on dirait une icône, un libre enfant de Summerhill.
De sa voix d’enfant, il nous chante une chanson d’amour. C’est vraiment beau, suspendu...
Suspendu, comme l’instant slam d’ailleurs !
À un moment, on a réuni les enfants de la procession sur un muret, et ils ont slamé sur la foule, qui les portait à bout de bras jusqu’à la rue.
Ouais, n’importe quoi…

Marie Do nous a fait valser sur une chanson paillarde, mais bien paillardes les paroles, j'ai trouvé cela quand même un peu choquant. 
C’est ce qu’elle cherche, tu me diras.
Et puis les Miss Trash nous ont fait danser sur des tubes.
Haaa les miss Trash, quel coup de cœur celles-là! Elles ne sont que deux, mais elles nous emportent. 
J’adore Julie, que j’ai eue en stage, cette femme a une énergie positive d’une force incroyable. 
On danse, tous, dans la rue, ensemble, on danse sous le soleil...
Trop beau.

Si je pioche au hasard dans ce dont je me souviens, je citerai le cours de chikong devant le parking d’Intermarché, et Marie-Do, seins nus, qui se fait tondre la tête sur une fontaine.
Elle s’est retrouvée avec une crête, et nous a regardés avec force, le poing levé, avant de se descendre une canette.
Dans cette ville où des femmes ont été tondues après guerre, c’était trash comme image... Génial, cette diversité des formes.
Il y a aussi eu un incroyable danseur, au final. Dans le cadre majestueux de l’entrée de la cathédrale, tout seul en costard, accompagné au piano par Renaud, il bougeait magnifiquement, il était drôle, agile, on voyait Keaton, un moment de solo extraordinaire.

Et puis le soir, bien sûr, on a fait la teuf. Une grosse teuf.
Comme on avait la veille dans les pattes et le train le lendemain matin, on a fait tranquille avec Bélinda, mais il y avait des heures pour tchatcher avec une myriade de gens intéressants, ça dansait non-stop, les futs étaient largement tous payés d’avance…
Julien de Faire Briller les étoiles était là. Voilà le visage de la jeune rue d’aujourd’hui. 
Avec son asso marseillaise, cet ancien pilier du Dakiling monte des événements, accueille des compagnies en résidence, c’est le mec qui connait tout le monde, un passionné de la rue. 
Quand ils t’accueillent, ils te co-produisent autant qu’un cnarep ! 
Julien a toujours la pêche, il est de toutes les fêtes, c’est vraiment le type en or qui sait monter des dossiers, décrocher des financements, et qui sait aussi te payer un coup à 5 h du mat dans une teuf au fond d’un chapiteau.
C’est nous, ça. 
Faire briller les étoiles…

On a aussi rendu hommage à Tartare dans la nuit. 
On a écouté un texte de lui, rempoté un séquoia qui sera planté derrière le théâtre au moment venu, on a tourné autour, à la lueur des bougies… 
Ça aussi, c’est nous. On sait rendre hommage à nos symboles.
Et puis enfin, dans le car du retour, on se retrouve avec la clique d'Oposito.
Pendant tout le trajet, Jean-Raymond me raconte le tournant des années 90. 
Ce moment incroyable où arrivé crevé en pleine nuit au Relecq Kerhuon, il a failli se casser, juste avant que ne surgisse Michèle Bosseur.
Sur cet instant se jouait ou non l'incroyable aventure croisée de la compagnie et celle du Fourneau.
Les tournées mondiales, le Temps des arts de la rue, tant de choses...
J'écoute, j'écoute, bon sang il faudrait coucher ça sur papier, c'est fabuleux!

Hé oui mon amie, oui mon ami, voilà tout ce qu’on a fait, tout ce qu’on est.
Les petits les gros, les jaunes les verts, les fous les sages, les paisibles et les enflammés.
Alors pourquoi Mende ?
Mais parce que nous, déjà…

Nous qui sommes capables de nous mobiliser par centaines, bénévolement, n’importe où, n’importe quand.
Nous qui sommes capables de manifester pour des valeurs communes, avec un débordement positif et exubérant de propositions artistiques.
Nous qui faisons corps.

Voilà pourquoi Mende, voilà les Belles Sauvages.


Nous sommes vivants.






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