Liste arts de la rue

Archives de la liste Aide


[rue] création 2019


Chronologique Discussions 
  • From: Christophe Lerche < >
  • To:
  • Subject: [rue] création 2019
  • Date: Tue, 5 Apr 2022 11:24:11 +0200
  • Authentication-results: mx1.infini.fr; dmarc=fail (p=none dis=none) header.from=free.fr
  • Authentication-results: garm.ovh; auth=pass (GARM-103G00508cb0708-e557-425d-8049-22b6dd4b7aad, BDE8FCBEE8BFDDBB60BFB6A4F94BFA5D75BA06FD) smtp.auth=
  • Dkim-filter: OpenDKIM Filter v2.11.0 mx1.infini.fr B519C1F198FA
  • Dkim-filter: OpenDKIM Filter v2.11.0 mx1.infini.fr C898F1F198F1
  • Dmarc-filter: OpenDMARC Filter v1.3.2 mx1.infini.fr C898F1F198F1

Bonjour la rue,
Ci-dessous, un témoignage qui n'engage que moi:

"Les verdicts des comités de programmation de Chalon dans la rue et de Vivacité à Sotteville sont tombés la semaine dernière :

Notre spectacle, dont la création remonte à 2019, n’a pas été retenu pour participer aux festivals off des éditions 2022.

De Chalon, je ne suis pas vraiment surpris. De Sotteville non plus, sauf qu’eux nous avaient dit oui en 2020, avant de tout annuler à cause de la pandémie de COVID 19.

Les choix de ces gros festivals s’expliquent en partie, je crois, par la volonté de privilégier les créations récentes, nées pendant le confinement. Il faut coller à l’actualité ; c’est impératif pour montrer aux politiques qu’on est encore dans le coup et qu’on sait reconnaitre les jeunes compagnies prometteuses, qui ont un discours percutant et des formes innovantes. Sinon tu passes pour un ringard et on te coupe tes subventions.

Je travaille pour une vieille compagnie.

Quand j’ai débarqué en 2007, c’était pour faire des remplacements sur des carnavals ou des fêtes de ville, pendant que le reste de la troupe allait jouer ses dernières créations, dans les festivals justement. Je m’en foutais un peu, je faisais ça pour cachetonner, je me suis fait des potes : c’était cool.

Ça n’était pas toujours facile pour autant. J’ai joué dans des supermarchés, des foires à la saucisse, au pied des immeubles, dans les quartiers. Dans ce genre de contexte, tu constates rapidement que le temps d’attention que les passants sont prêts à t’accorder spontanément est extrêmement limité. Alors on portait des costumes voyants, on montait sur des échasses au besoin et surtout, on jouait d’humour et de dérision pour provoquer la connivence entre nous et ce public non convié, qui n’avait rien demandé à personne.

 

Peu à peu la compagnie a pris de la place dans ma vie. On m’appelait de plus en plus souvent, je commençais à connaitre tout le répertoire et, quand mes autres projets professionnels se sont arrêtés, j’ai décidé de m’investir un peu plus et de me mettre à la diff. Ça arrangeait le directeur artistique et moi, ça m’arrangeait aussi, parce que j’étais amoureux de l’autre chargée de diff, qui était également comédienne dans la compagnie.

J’ai commencé à faire partie des meubles. Les nouvelles créas marchaient un peu moins que les précédentes, les anciens de l’équipe prenaient la tangente un par un, mais je ne m’en rendais pas compte. J’avais la tête dans le guidon. Quand le directeur artistique a montré lui-aussi des signes de fatigue, j’ai monté une première déambe, qui a bien tourné, même si elle n’est pas allée en festival.

Et puis en 2018, j’ai écrit ce spectacle fixe de 50 mn, qui n’ira jamais à Chalon, ni à Sotteville.

L’accouchement a été difficile. J’ai senti que le directeur artistique n’était pas très heureux de la place que je prenais, même si officiellement, on parlait au bureau de transmission et de passage de relai. La costumière m’a pris en grippe et a essayé de liguer les autres contre moi. Mais Isabelle était à mes côtés, on avait une super équipe et on est partis en résidence.

J’ai mis tout ce que j’avais dans ce projet et je suis vraiment fier du résultat. Depuis la première date, en avril 2019, on a vendu le spectacle une trentaine de fois, malgré 2 ans de COVID et des annulations en pagaille. Si on ne prend pas en compte ceux du directeur artistique et de la costumière, les retours sont excellents. Tous les programmateurs qui ont vu le spectacle nous ont demandé un devis. Le problème, c’est qu’il n’y en a eu que trois.

Aujourd’hui, je me rends bien compte que je ne suis pas dans le moule. Mon spectacle est capable de s’adapter à des conditions difficiles et de retenir l’attention d’une centaine de gamins et de leurs familles pendant près d’une heure. Mais c’est justement parce que je me sers de tout ce que j’ai appris durant ces années : un visuel coloré, un mode de jeu burlesque, des chansons qui envoient et aussi pas mal d’humour et de dérision. Ce qui n’empêche pas d’avoir un propos.

Tous ces codes de jeu, que j’ai considérés comme des contraintes artistiques stimulantes pendant la création, sont à présent mal vus par les comités de sélection des festivals nationaux. Dans ces gros machins-là, le public est convié, il n’a pas besoin d’être apprivoisé. Ce qui compte, c’est de séduire les politiques. Alors on sort le grand jeu pour la sous-préfète et les gens de la DRAC : de l’avant-garde, des formes hybrides, de la provocation, pour frissonner un peu. Le public non-convié, on s’en fout, on n’ira pas le voir. On s’amuse même à programmer, sous forme de « maquette », des spectacles qui n’existent pas encore.

Il y a des jeunes compagnies qui y trouvent leur compte et des vieilles qui s’adaptent. Il y a de bons spectacles. Il y en a de moins bons. Mais de la place pour les saltimbanques comme moi, il n’y en a plus.

 Je sais que j’ai intérêt à prendre tout ça au sérieux si je veux continuer à vivre de mon métier. Peut-être aussi qu’il serait plus prudent de fermer ma gueule. J’ai 49 ans et au train où vont les choses, je risque de me retrouver au chômage bien avant de pouvoir espérer toucher une retraite. Il serait temps que je m’adapte. Et pourtant je n’arrive pas à me résigner à cette évolution.

J’ai le sentiment que les arts de la rue se sont tellement institutionnalisés, par soif de reconnaissance, qu’ils se sont piégés eux-mêmes. Peu à peu, les compagnies « qui comptent » s’habituent à jouer devant un public vieillissant de bobos et de retraités de l’éducation nationale. Le même public, à peu de choses près, que celui des CDN, qu’on raillait autrefois parce qu’ils s’étaient coupés des « vraies gens ». La seule différence, c’est les jeunes qui viennent encore boire des bières et dormir par terre.

Un jour, on ne les verra plus.

Ce jour-là, ce sera vraiment fini."

Tof

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Garanti sans virus. www.avast.com


  • [rue] création 2019, Christophe Lerche, 05/04/2022

Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.

Top of page