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[rue] Lettre à Manu


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  • Subject: [rue] Lettre à Manu
  • Date: Tue, 10 Jan 2023 21:45:21 +0100
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Mon manu, mon prez

On dit pas, t'as tout l'air d'un bon gars. Oh y en a plein qui déjà hausseront les épaules, mais nous, Ma petite Suzette et moi, artistes de notre bonne âme, on sait qu'au fond t'es comme ça.

On en voit plein des matamores, des rouleurs de mécaniques, des grandes gueules, des soiffards, des vicelards, des toquards et des roublards qui paraissent pas très fréquentables comme ça...

Mais ce que nous ont bien appris nos trente ans de balades sur les routes de ci de là, à colporter nos spectacles, c'est bien qu'au fond, y a toujours un bon gars même derrière la face du plus vil gaillard.

On les voit bien en plus tous ceux là qui te tapent dans le dos, sourire aux mors, te félicitant pour ton travail, ton talent, ton courage et ton engagement.

Mais ceux là, y z'y voient pas vraiment comme nous on voit.


On t'écrit mon manu, mon prez, parcequ'il faut quand même qu'on te cause.

Parce que ta réforme de nos vieillesses, faut bien dire qu'on en veut pas.


C'est pas contre toi mon gars. A toi aussi on pense. T'es encore jeune après tout. La retraite pour toi c'est loin.

Oh c'est sûr t'aura surement bien moins de mal que ma suzette et moi quand viendra l'âge, mais quand même.

Et puis faut qu'on te parle parce que tes copains là qui te tapent dans le dos, on a vu passer leurs âges et leur classe. On s'est dit Manu le bon gars, il doit plus savoir quoi, avec des conseillers comme ça...


Alors prend le temps de ces mots pour dire pause. Halte. Repos.


Tu dois te figurer je sais pas quoi avec tous tes atours et tes mots.

Au point des fois, faut bien le dire mon gars, de plus savoir ce que tu dis.

Les gares, tout ça. Ceux qui ne sont rien, ceux qui réussissent...

Ben lis un peu les mots de ceux qui n'y vont pas dans les gares.

Ceux comme ma Suzette et moi. Ceux qui sont ni rien, ni tout. Cette classe moyenne là.

Parce que quand t'y penses, faut bien dire qu'on est quand même plein à jamais y aller dans les gares.

En plus nous, avec Henri (notre contrebasse), autant te dire que les sièges des trains, ça fait longtemps qu'on les visite pas.

Sans parler de notre scéno de spectacle ! 6M3 de métal et de bidules, qui claquent et qui chantent avec le vent.

Du bon vieux matos. Trente ans que ça tourne et juste un peu d'huile de coude pour que ça enflamme encore les places de nos villes et villages.

C'est sûr que c'est pas aujourd'hui avec nos petites compagnies qu'on irait désormais se payer des scénos comme ça. Pauvres scénographes, serruriers et magiciens du bois...

Sans parler de notre malle à costumes ! Un trésor celle là. Du vrai fait main, cousu sur mesure, et jamais craqué malgré les aléas des toujours aussi acrobatiques formes de ma Suzette.

On en trouve plus des comme ça ! Pas avec nos quelques sous récoltés ici et là en tout cas...

Du coup pour tout ça faut un bon cametar ! 

Trente ans qu'on écume les routes mon manu, mon prez.

Et qu'on fait partie de cette bonne vieille exception culturelle ! 

Celle qui va le chercher ce pain et ce fromage !

(Tu nous as bien fait marrer ce jour là tiens. Passe le bonjour à Roselyne, on l'a toujours eu, malgré tout, en sympathie elle, surtout quand elle est passé un soir à l'Odéon.. un vrai sketch ce soir là.. C'est qui la nouvelle recrue d'ailleurs ? On l'entend pas trop dans nos campagnes. Surement un clown pas triste on espère vu ton entourage !)


Tu vois nous le métier, c'est comme une grande aventure. Chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année. Et faite de toutes ces rencontres, par delà notre pays ; et même au delà ! 

Mais tu vois Manu, faut qu'on t'en parle.

Parce que ta réforme de la vieillesse, on n'en veut pas.


C'est bien beau tous ces souvenirs là, mais tu te rend pas compte Manu mon prez.

Tu connais pas tout ça. Même ta petite dame, qui faisait pourtant du théâtre, on la sent pas vraiment au courant du bouzin Sortie des pièces jaunes, ça c'est sûr c'est pour toi qu'elle en pince, le lundi soir sur TF1.

Pour faire ces spectacles là, il en a fallu porter du matériel, construire des décors, travailler par tous les temps, en toutes les saisons. Pour pas grand chose, pour quelques cachets de ci de là.

Heureusement qu'on a l'intermittence pour au moins pas crever de faim comme avant.. N'est pas Molière qui veut ! 

Il a fallu en faire des bornes dans notre vieille caravelle increvable. 900 000 au compteur !

On va le tirer au million c'est sûr. Et après ?

Après c'est comme nous. 

On sait pas comment on tiendra.

Tu t'imagines Manu, 50 000 km par an depuis trente ans ? Assis des heures au volant. A charger, décharger, jouer, rejouer.

A manger n'importe quoi comme on peut, en passant des plus beaux festins généreux aux sordides sandwiches industrielles d'autoroute au gré des déplacements ?

A dormir là où on peut, nous veut? 


La vie d'artiste... dis donc il doit pas y en avoir beaucoup parmis ceux qui te tapent dans le dos des artistes ! S'ils savaient, les jeunes, y voudraient surement pas devenir artistes.. D'ailleurs ils veulent plus trop. Ils sont pas cons ces jeunes...

Parce que moi, ma suzette et toute la clique des batteurs de pavés, on s'en passera bien de tes annuités de rab pour saltimbanques affamés ! 

Oui mon Manu, mon prez, nous on joue dans la rue, pas dans les dorures, et nous, qu'il brûle, pleuve ou vente, on turbine à 200 ! (Et fais pas ton surpris mais ça devient un tantinet compliqué au mois de juillet sur les pavés.)

Mon manu, on en veut pas de tes années en plus. 

Ma Suzette, après avoir eu nos deux petiots, si t'imagines que le taux plein c'est pour demain, faudra lui expliquer combien elle va devoir se les payer ses trimestres ?

Moi avec mon dos foutu par les bornes de bitumes avalés, je me dis que comme pas mal de copains ouvriers, je la verrai pas des masses ta retraite. 

Je me console en me disant que tu vas pas (j'espère mon Manu, au moins pas ça) toucher aux pensions de réversion, que ma femme en profite un peu. (faudra qu'on se marie vite tiens, des fois que je casse la pipe avant le camion... de toute façon celui là, en ZFE il rentrera plus.. il est déjà fini sans le savoir.. va savoir si je dirai pas : « comme moi »)

Déjà que au quotidien dans le spectacle dit vivant, on est en lutte pour ne pas mourir, et vlà que tu veux nous en coller pour quelques années de plus ?

Sans parler de ta lubie de la France Travail.. Eh oh, la retraite déjà... et après : quoi ? Pôle Emploi ?

Tu fais déjà le coup à l'hôpital..

Je vais me faire soigner où moi, quand à 65 piges, sans mes années, je devrais encore faire le drôle bossu, au pied de notre Dame...

Je veux pas bruler ma vieillesse au pied d'une cathédrale... pour servir tes dévots sans état d'âme.


Mon manu, mon prez, 

écoute moi, écoute ma Suzette, et tous ceux et celles comme moi qui voulons juste partager du rêve.

Laisse nous rêver de nos fins, sans en avoir peur.

Montre ton côté bon gars, et arrête de prêter le dos à ces flagorneurs là.

Vient faire un bout de route avec nous, simples gens du bas, artistes de rue innombrables.


Arrête toi, pause.. calme. Repos soldat.

Ta réforme de la vieillesse, on n'en veut pas.


C'est pas contre toi, mon gars, mon Manu, mon prez, 

Mais si t'entends pas et même si je dois casser le camion pour ça, comme pour tous mes spectacles, comme avec tous mes camarades, c'est sûr : c'est sur le pavé qu'on ira se battre.




  • [rue] Lettre à Manu, , 10/01/2023

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