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François

Combats

A Avignon, le metteur en scène Milo Rau fait dialoguer les militants brésiliens et français

Le cinéma Utopia à Avignon a réuni le metteur en scène suisse, ses acteurs brésiliens membres du Mouvement des sans-terre et des proches des Soulèvements de la Terre, récemment dissous. Ces militants, dont les structures sont peu comparables, font pourtant cause commune.

«Antigone in the Amazon» a été conçu pour et avec le Mouvement des sans-terre (MST) dans l’Etat de Pará. (Christophe Raynaud de Lage/Christophe Raynaud de Lage)

par Anne Diatkine

publié le 19 juillet 2023 à 19h23

Et pourquoi ne pas inscrire le mouvement des Soulèvements de la Terre dans Antigone in the Amazon ? A quelques heures de la deuxième représentation de sa pièce, le metteur en scène Milo Rau réfléchit, dans la cour du cinéma Utopia, à comment procéder pour l’intégrer au déroulement même de la pièce. Ce pourrait être, pense-t-il à voix haute, «au tout début, quand on présente ce qu’est le Mouvement des sans-terre». Le spectacle est sous-titré en plusieurs langues, et chaque modification provoque une cascade de changements. Finalement, ce soir-là, des amis des Soulèvements de la Terre (SLT) seront bien sur scène, mais aux saluts, en compagnie de Kananda Rocha Xavier et Maria Raimunda Cesar, qui crient «Demain n’est pas à vendre» en remuant des drapeaux. Ovations !

Actions politiques émanant du spectacle

La présence au plateau des activistes n’a rien de gratuit. Milo Rau l’a répété, Antigone in the Amazon a été conçu pour et avec le Mouvement des sans-terre (MST) dans l’Etat de Pará. Et peu importe que plus personne ne sache d’où provient la proposition, du mouvement brésilien ou du metteur en scène. Comme Antigone, les sans-terre brésiliens n’ont pas eu le droit d’enterrer leurs morts le 17 juillet 1996 lors de l’assassinat par la police fédérale de 19 d’entre eux. C’est moins relayé, mais le tout jeune mouvement des Soulèvements de la Terre est lui aussi partie prenante de la pièce de Milo Rau, entre autres en ayant aidé à la campagne active contre Nutella et le greenwashing pratiqué par les géants de l’agroalimentaire qui accompagne la tournée. Le risque serait que les différentes actions politiques semblent des produits dérivés du spectacle plutôt qu’émanant de lui. Si Milo Rau et son équipe évitent cet écueil, c’est parce que les activistes du MST font partie de l’équipe artistique.

Mardi 18 juillet, le cinéma Utopia conviait donc les festivaliers à une rencontre entre Milo Rau, Kananda Rocha Xavier et Maria Raimunda Cesar du Mouvement des sans-terre, l’historien Jérôme Baschet et l’actrice Rosa Noue, «amis» des Soulèvements de la Terre. Si les combats contre les industries écocides et la préservation des communs les rassemblent, les deux mouvements sont peu comparables. L’un existe depuis quarante ans, est structuré comme un Etat dans la nation brésilienne, avec différents départements – éducatifs, culturels, médiatiques. L’autre s’apparente plus à une nébuleuse de groupes multiples sans hiérarchie et aux limites mouvantes. Un point les relie : être criminalisés. Pour le Mouvement des sans-terre, soutien actif de Lula lors de sa campagne présidentielle, ce péril appartient pour l’instant au passé, les militants espérant même réussir à contrebalancer le Parlement d’ultradroite acquis à Bolsonaro. Depuis toujours, le MST a été l’objet de campagnes ultraviolentes, l’ancien président en personne n’hésitant pas à le traiter comme un ennemi personnel à éliminer – et les morts furent nombreux.

«Qu’est-ce qu’on fait après le capitalisme ?»

Le modérateur de la discussion craint-il la parole des amis des Soulèvements de la Terre ? Il incite Jérôme Baschet à faire un détour par la révolution mexicaine, plutôt que de parler du moment particulier que traverse le mouvement, dissous le mois dernier. Rosa Noue expose à Libération les conséquences concrètes de la dissolution : «Les actions ne peuvent plus être organisées sous cette bannière. J’ai le droit de réagir publiquement à propos de la dissolution et de parler des actions passées. Mais je ne peux rien annoncer, je ne peux pas parler du mouvement au présent.» L’Etat est-il en mesure de déployer un arsenal pour réprimer toutes les personnes qui se revendiquent des SLT ? Milo Rau, quant à lui, ne doute pas du développement de l’utopie «très belle» portée par la société civile à travers ce mouvement. Et dont les questions sont, selon lui : «Qu’est-ce qu’on fait après le capitalisme ? Qu’est-ce qu’on fait après la catastrophe ?» L’incapacité de saisir son imminence et donc de se pencher sur l’après, rejoint là encore la tragédie grecque et Antigone, fille d’Œdipe.