« Seins nus » ou la liberté de disposer librement de son corps

L’épisode de ces femmes arrêtées, mises à l’amende, et poursuivies pour « exhibition sexuelle », à Aurillac les 23 et 24 août pendant le festival de théâtre de rue, prend place dans la longue histoire de l’émancipation des femmes. Le corps féminin a été constamment enchaîné à des fonctions caractérisées par l’asservissement : la contrainte reproductive (faire gratuitement des enfants pour l’industrie et la guerre), la contrainte esthétique (représenter dans le monde son mari aisé), la contrainte sexuelle (la disponibilité sexuelle obligatoire qui blanchit le viol), la contrainte éducative (élever gratuitement les enfants et tenir la maison), la contrainte sociale (travailler pour des salaires plus bas que ceux des hommes, temps partiel imposé). Dans ce réseau d’aliénations, le corps est le point d’application de la domination masculine. Toutes les lois ou les us et coutumes sexistes existent en reposant chaque fois sur une violence faite au corps.

Les seins nus ne sont pas seulement des objets porteurs du désir masculin. Ils sont une partie de la subjectivité souveraine. La liberté de disposer librement de son corps s’étend inévitablement aux seins. Ceux-ci sont un espace politique de manifestation : que l’on pense aux Femen, aux Pussy Riot, mais aussi à Delacroix, La liberté guidant le peuple (ou Marianne, même si la nudité est ici un code artistique antiquisant ; quasi personne au 19^e siècle ne lisait ce tableau comme une manifestation en faveur des femmes). Étant donné l’asservissement persistant des femmes, toute ré-appropriation de leur propre corps est à chaque fois un événement politique – à l’égard duquel il faut prendre position.

Chacun doit décider de rompre avec le patriarcat, malgré l’extension très large de sa puissance – qu’il soit femme ou homme. Les hommes n’ont pas tous le même pouvoir, mais ils profitent, sans rien faire de spécial, de tous les avantages donnés par le patriarcat. Ils sont donc co-responsables de l’existence du patriarcat.

Jean-Jacques Delfour