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[rue] accompagnés vers la sortie


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  • Subject: [rue] accompagnés vers la sortie
  • Date: Thu, 7 Dec 2023 08:48:16 +0100
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Jolie Môme chassée du théâtre de la Belle Étoile qu'elle a créé il y a 19 ans .

Anne Crignon dans le Nouvel Obs.

A Saint-Denis, la compagnie Jolie Môme sommée de rendre son théâtre : La Belle Étoile. Cela faisait dix-neuf ans que la compagnie Jolie Môme occupait le théâtre en briques près du métro Front populaire. Aujourd’hui, la municipalité lui demande de quitter les lieux pour y installer un autre « projet ».
Par Anne Crignon ·
Publié le 6 décembre 2023 à 7h30

On aurait tort de croire que le récit qui va suivre est une simple histoire de théâtre réservée aux visiteurs du soir sur leurs gradins de bois ou de velours, aux abonnés alanguis dans les corbeilles et les paradis. A Saint-Denis (Ile-de-France), la compagnie Jolie Môme est priée de rendre fin décembre, après dix-neuf ans de bons et heureux services, les clés de son théâtre. Et il se trouve qu’à se pencher sur cette affaire, on découvre que, par-delà les faits eux-mêmes, des composants amers de l’époque font tour à tour leur apparition : durcissement des relations humaines, froideur d’élus acquis aux techniques du management, effacement de l’histoire, le tout sur fond d’une inquiétante normalisation en cours – la chasse à l’exception et à la singularité continue. Imaginez pour commencer, à quelques encablures du métro Front populaire, un théâtre de briques d’un autre siècle. C’est La Belle Etoile, ainsi nommé en hommage à l’étoile rouge de l’Internationale mais aussi pour honorer Jacques Prévert – les universitaires chargés de mettre le poète en Pléiade ont d’ailleurs désigné Jolie Môme comme son héritière. Le hall d’entrée est tapissé d’affiches blanchies par les ans : ici une reproduction de celle qui fut placardée par les nazis condamnant le groupe Manouchian dans la France occupée ; là une lettre de la Commune aux électeurs parisiens pour les mettre en garde contre les nantis portés à se servir plus qu’à servir ; plus loin une autre en faveur de la libération de Georges Ibrahim Abdallah. Dans une première salle, où est le portrait de Louise Michel, se déroulent toute l’année rencontres et débats, notamment les soirées des Amis du Monde diplomatique, les amis de leurs amis en somme. Vue dans « Merci patron ! » (François Ruffin, 2016), la compagnie Jolie Môme est aussi une chorale. C’est elle qui a écrit et composé « C’est dans la rue qu’ça s’passe », cet hymne à la joie chanté dans les manifestations d’un bout à l’autre de la France. Des ateliers ouverts toute l’année et un festival La Belle Rouge, chaque juillet à Saint-Amant-Roche-Savine (Puy-de-Dôme), achèvent le tracé d’un univers qui se déploie en ces lieux, prêtés à la compagnie en 2004 par le maire communiste de l’époque, Patrick Braouezec – tout comme Vincennes mit sa Cartoucherie à la disposition d’Ariane Mnouchkine et de son Théâtre du Soleil. Il y a peu, la grande cuisine retapée à l’époque par des gars de la CNT Bâtiment, avec ses tables en Formica et ses marmites géantes, a fait cantine pour les migrants comme dans le nouveau film de Ken Loach. Quelque chose de Loach, donc, dans ce havre de paix très recherché en ces grandes heures de désarroi collectif que sont les attentats ou les violences urbaines, voilà qui ne parlera pas à Mathieu Hanotin, devenu le maire dionysien en 2020 à l’issue de soixante-dix ans de communisme. « L’acte théâtral est politique par essence mais que La Belle Etoile devienne un lieu militant est un problème », nous explique-t-il. Par exemple, il a estimé qu’un récent meeting de soutien au peuple de Gaza bombardé était « hors des clous ». Disparition annoncée de La Belle Etoile alors ? « C’est réducteur. Il s’agit d’une nouvelle orientation des politiques culturelles. » Ce que veut la mairie pour ce théâtre, désormais, c’est la mise en concurrence tous les cinq ans, comme le prévoit la loi, de compagnies et de « projets », ce mot-clé du management, du marketing, de la pub. « Un renvoi politique » C’est ainsi que le sujet arrive sur la table le 6 juillet lors du conseil municipal. On décide qu’il y aura bel et bien cet appel à projets et l’adoption d’une nouvelle convention d’occupation des lieux. Le maire pense que celles passées jusqu’à présent par ses prédécesseurs avec la compagnie sont pour le moins « atypiques » et que Jolie Môme « ne se renouvelle pas » – d’autres voient là plutôt le signe d’une véritable identité. Pour le « projet », les critères de la mairie sont assez flous : ils demandent un renforcement et une solidité de l’offre et des candidats en phase avec la « politique culturelle de la ville ». Ce jour-là, Mathieu Hanotin évoque un « personnage folklorique dont [il] ne [se souvient] plus du nom ». Le personnage folklorique, c’est Michel Roger, figure du théâtre populaire, fondateur et metteur en scène de Jolie Môme, étonnant comme tous ces gens pas nés d’hier qui sont de véritables centrales d’énergie. Profil de vieil anar avec sa façon de tutoyer d’emblée, jamais plus heureux que lorsqu’il répète Brecht ou une pièce à lui sur les mutins de la mer Noire, Michel Roger monte depuis quarante ans des spectacles sans jamais les signer et dont on ne sait pas le nom des artistes – tout est pensé, édifié ensemble, le succès d’un ou d’une va au groupe. Pour lui, aucun doute, le renvoi de Jolie Môme est politique. Il pense que Mathieu Hanotin veut faire le ménage dans sa ville d’ici à l’ouverture des Jeux olympiques. Que l’on veuille la peau d’un repaire de pirates capables de hisser le drapeau pour contester les pelleteuses qui ont balayé les jardins ouvriers d’Aubervilliers pleins de hérissons en vue de la construction de la piscine olympique et dénoncer l’accélération des technologies de surveillance à cette occasion ou la mainmise de sponsors charmants comme Airbnb ou Coca-Cola, ça n’est vraiment pas une hypothèse absurde. Dès lors, les choses vont se dérouler en trois étapes. Remise des « projets » écrits le 24 septembre – huit candidatures, dont celle de Jolie Môme qui dépose le sien, budget compris, avec une lettre d’accompagnement qui commence ainsi : « Bonjour, Comme vous imaginez bien, nous sommes candidats à notre propre succession et par ce courrier tenons à vous préciser notre candidature et sa nature. Evidemment, nous ne vous présenterons pas notre groupe comme si vous ne nous connaissiez pas et si certains ne nous connaissent pas encore, vous êtes tous, comme vous le savez, les bienvenus chez nous, quand nous jouons, répétons ou pour un café, un échange. » Assez cruellement, c’est Michel Roger qui doit faire visiter les lieux aux compagnies susceptibles de prendre bientôt sa place. Cinq d’entre elles sont retenues, en plus de Jolie Môme, chacune reçue à la mairie une première fois, puis une deuxième. Ce 9 novembre, un Michel Roger mal disposé, venu avec Flô, comédienne et musicienne, se braque d’emblée, refuse de plaider quand l’activité de La Belle Etoile parle pour eux et que personne à la mairie n’est jamais venu y voir de près. Et surtout, il est convaincu que les jeux sont faits, quoi qu’il propose – déjà, un rendez-vous pris à l’hôtel de ville dès le printemps a été reporté par deux fois. Au cours de ce face-à-face « à fleurets mouchetés » avec le maire et ses jurés, il réaffirme l’identité de sa troupe. Rouge. Ligne anticapitaliste. Soutien au DAL comme aux Soulèvements de la Terre. L’un des derniers bastions de la culture rouge et qui entend le rester. Bref, un entretien « calamiteux » selon Flô, et, sans surprise, « le moins bon des six » pour Mathieu Hanotin. « Comme ils se sentent propriétaires du lieu, ils ont l’impression d’être virés », poursuit le maire. « Si on se sent chez nous, c’est qu’il s’agit d’un théâtre que l’on a entièrement restauré et où nous travaillons depuis dix-neuf ans », rétorque Jolie Môme. Finalement, c’est la compagnie Le Tambour des Limbes qui a été choisie, emmenée par Rémi Prin, ancien directeur du Théâtre des Déchargeurs, à Paris, qui s’est retrouvé en liquidation judiciaire du jour au lendemain en septembre. Etre viré de son théâtre, Rémi Prin connaît. La situation est embarrassante. Il devrait entrer dans les lieux le 1er janvier mais ce n’est pas du tout réaliste. Jolie Môme travaille – la dernière de leur spectacle « Révélations ! » était le dimanche 3 décembre, et la troupe est en préparation des suivants ; on voit mal comment, en si peu de temps, trier, transporter, vider les sous-sols pleins de deux décennies de costumes, d’accessoires, d’outils, lumières et câbles précieux. Ils n’ont aucun endroit où entreposer ces trésors. Comment poursuivre leur saison 2023-2024, et honorer les spectacles annoncés ? « Accompagner » la troupe Parmi les deux trois choses qui ont « séduit » le maire – c’est son mot –, il y a la volonté de la compagnie Le Tambour des Limbes de développer une action culturelle sur le quartier. C’est ce à quoi Jolie Môme a toujours été attentive, notamment avec Tamèrentong !, la compagnie créée pour les enfants du voisinage. C’est ce genre de petite vexation qui fait dire à Michel Roger que ce maire prêt à les rayer d’un trait ne sait rien de ce qu’ils font. Et voilà comment La Belle Etoile se trouve menacée par l’effacement de sa mémoire, ce syndrome caractéristique de l’époque qui frappe des lieux d’histoire, des entreprises, des institutions. Le maire en trois ans est venu une fois. Jamais il n’a visité ce théâtre. Le directeur des Affaires culturelles non plus. Que savent-ils des grands succès de Jolie Môme, de leur pièce sur l’écrasement des spartakistes (« 14-19, la mémoire nous joue des tours ») restée à l’affiche de 2014 à 2019, jouée jusqu’à Séoul, ou de « la Maladie blanche » de Karel Capek, grand nom de la littérature tchèque qui a fait salle comble l’an dernier ? Le plus important étant que si La Belle Etoile mêle sans réserve théâtre et politique, c’est en héritière de cette salle des fêtes, construite il y a 125 ans, et qui accueillait – déjà – des dîners-spectacles, des débats et des soirées de soutien, comme celle organisée pour le départ des Brigades internationales en Espagne. Mais qu’importe au fond. Laisser la place à d’autres, plus jeunes, pourquoi pas. Ce qui ne passe pas du tout, c’est le dédain qui se déverse sur Jolie Môme, le manque de reconnaissance pour tout le travail accompli, autre syndrome contemporain ravageur. Le directeur des Affaires culturelles a appelé Michel Roger la semaine dernière pour lui donner un rendez-vous à la mairie. Il s’agit d’« accompagner » Jolie Môme, a-t-il expliqué, tel un RH puisant dans ce vrac de mesures managériales amarré aux plans de licenciements où l’on fracasse du salarié tout en prétendant l’« accompagner ». Michel Roger refuse. Il veut que ce délégué à la Culture se déplace. Que ceux qui les chassent regardent en face ce qu’ils sont en train de faire. Et à qui.


Bien à vous,
François 



  • [rue] accompagnés vers la sortie, , 07/12/2023

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