Liste arts de la rue

Archives de la liste Aide


[rue] Repolitisation d’une profession


Chronologique Discussions 
  • From: François Mary ( via rue Mailing List) < >
  • To: < >
  • Subject: [rue] Repolitisation d’une profession
  • Date: Wed, 14 Feb 2024 10:01:11 +0100
  • Authentication-results: mx0.infini.fr; dkim=pass (2048-bit key; unprotected) header.d=wanadoo.fr header.i=@wanadoo.fr header.b="KAFbY+Ht"; dkim-atps=neutral
  • Authentication-results: mx0.infini.fr; dmarc=pass (p=quarantine dis=none) header.from=wanadoo.fr
  • Dkim-filter: OpenDKIM Filter v2.11.0 mx0.infini.fr CB728512528F
  • Dkim-filter: OpenDKIM Filter v2.11.0 mx0.infini.fr BE161512527D
  • Dmarc-filter: OpenDMARC Filter v1.3.2 mx0.infini.fr BE161512527D

Ce mercredi, artistes auteurs, associations et syndicats défendront à l’Assemblée une proposition de loi pour la «continuité de revenus», qui leur permettrait notamment d’accéder à l’assurance chômage. Signe de la repolitisation d’une profession dont le statut n’a presque pas évolué depuis le XVIIIe siècle.

 

Montage créé dans le cadre du mouvement «Art en grève». (Yannick Lecœur)

par Claire Moulène publié dans Libération le 12 février 2024 à 17h55

En visite au Festival de la BD à Angoulême fin janvier – où une enquête de la Charente libre avait révélé que 150 des 200 auteurs installés dans la ville étaient au RSA -, Rachida Dati, interpellée sur le statut précaire des artistes auteurs, n’a pas trouvé mieux que de renvoyer dos à dos les différents interlocuteurs sur ce sujet, considérant qu’ils «n’ont pas», selon elle, «de vision claire de ce qu’il faut faire», et n’arrivent pas à «dégager de majorité». En résumé : qu’ils se mettent d’accord et on en reparle.

«Misère de la culture»

La ministre de la Culture n’avait peut-être pas encore été mise au parfum mais il se trouve que depuis quelques mois, des artistes auteurs, des syndicats et des associations s’organisent justement pour défendre une proposition unique : la «continuité de revenus» qui permettrait aux plasticiens, photographes, graphistes ou écrivains de bénéficier d’une rémunération même en cas d’accident de la vie. Ce mercredi 14 février, ils viendront d’ailleurs groupés à l’Assemblée, sur une invitation du député Pierre Dharréville en charge des questions culturelles au Parti communiste, pour alerter l’hémicycle – à l’exception des élus RN qui n’ont pas été conviés – sur la précarité de leur corporation lors d’une réunion d’information. En tout, 270 000 personnes pourraient être concernées – si l’on se fie au nombre d’inscrits à l’Urssaf Limousin qui regroupe depuis 2019 les affiliés de la Maison des artistes et des Agessa, qui géraient autrefois les droits d’auteur. Parmi eux : 100 000 écrivains, 22 000 graphistes, 26 000 photographes et 12 700 plasticiens.

Dans le monde de l’art, c’est une révolution : se considérer comme des travailleurs de l’art, se syndiquer, est un changement de paradigme complet. Preuve que les artistes auteurs que l’on a longtemps présentés comme individualistes, se sont largement repolitisés et sont désormais prêts à s’organiser collectivement pour faire valoir leurs droits – n’en déplaise à la ministre. La rupture était visible, le 6 décembre, dans la grande salle de la Bourse du travail à Paris. A l’origine de cette assemblée générale très suivie : l’association la Buse, à l’initiative du mouvement «Art en grève», qui œuvre depuis 2019 à défendre les droits des «travailleurs et travailleuses de l’art», et différents syndicats – anciens comme la Staa ou fraîchement éclos comme le Massicot – réunis pour l’occasion devant un bouquet de fanions aux messages percutants et au graphisme bien senti. «Du chemin a été parcouru : c’est incroyable de vous voir toutes et tous ici», saluait d’ailleurs Clémence Mauger, porte-parole de la Snap-CGT devant l’une des nombreuses banderoles originales : «Misère de la culture», «Ambroise Croizat, reviens !», «Sécurité sociale TOTALE pour tous», «un violent désir de bonheur», et encore un détournement de la fameuse sérigraphie d’Andy Warhol rebaptisée «grimace soup».

«L’auteur est considéré comme un rentier»

Lors de cet AG, Aurélien Catin, membre de la Buse et auteur d’un essai intitulé Notre condition. Essai sur le salaire au travail artistique, avait commencé par faire un peu de pédagogie : «[Nos] confrères les intermittents se sont mieux débrouillés que nous, expliquait-il. Et ce qui diffère, c’est le mode de rémunération mais surtout le rapport au travail.» Contrairement aux intermittents, la rétribution des créateurs repose en effet aujourd’hui principalement sur le principe du droit d’auteur et le revenu de l’artiste n’est pas issu de son travail mais de la diffusion de son produit. «L’auteur est considéré par le droit comme un rentier» et c’est ce statut de l’artiste «pratiquement inchangé depuis le XVIIIe siècle» qu’il faudrait désormais faire évoluer. Parmi les premières revendications : une couverture en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles et un accès à l’assurance chômage. Concrètement, la proposition de projet de loi prévoit une entrée dans l’assurance chômage à partir d’un revenu annuel équivalent à 300 heures smic, soit 3 456 euros brut.

Le tout est détaillé dans un petit livre rouge d’un genre nouveau que les participants de la réunion du 6 décembre à la Bourse du travail faisaient circuler entre les bancs. Sobrement intitulé en gros caractères Pour une continuité de revenus des artistes auteurs, c’est lui qui sert aujourd’hui de base à la proposition de projet de loi que ces organisations entendent faire remonter à l’assemblée. Lors de leur visite auprès des parlementaires ce mercredi, ils raconteront probablement, comme ils le font avec beaucoup de clarté dans ce rapport, la double peine que subissent les artistes auteurs, la faiblesse de leur protection sociale qui bien souvent redouble leur précarité (impossibilité de recourir à un prêt bancaire par exemple). Ils diront peut-être aussi les affres de désespoir dans lesquels se sont abîmés nombre d’entre eux depuis le transfert des compétences de la Maison des artistes et des Agessa à l’Urssaf Limousin. Transfert qui constitue, selon eux et de nombreux autres témoignages qui remontent depuis quelques années comme on peut le lire dans ce recueil, «un facteur aggravant de précarité : problème avec le site internet, automatisation des cotisations qui déraille, problème d’interlocuteurs» quand «le monde de la création, protéiforme, nécessiterait au contraire un service public attentionné». Ils rappelleront surtout l’évidence : qu’«aucune œuvre, aucun livre, aucun film, aucun spectacle ne verrait le jour sans le travail initial d’un auteur ou d’une autrice». Qu’il ou elle «en est la racine, la condition sine qua non» et qu’aujourd’hui nous sommes «face à un paradoxe : si quelques auteur.ices jouissent d’un statut symbolique privilégié, la grande majorité est déconsidérée dans son travail, dans son apport à la société et à l’économie».

«Certains se sont retrouvés à la rue»

Un pays expérimente déjà la continuité des revenus : la Belgique. «Ces débats sont revenus en force au moment du Covid, de ce côté-ci de la frontière comme en France, raconte Tiphanie Blanc qui représente les créateurs francophones au sein de la Fédération des arts plastiques belges, certains artistes se sont retrouvés à la rue, d’autres ont dû faire appel à des fonds de secours.» Les politiques auraient alors saisi l’urgence de faire une réforme, finalement entrée en application le 1er janvier. Elle crée un statut de travailleurs de l’art qui concerne tout le monde : acteurs, gens du cinéma, musiciens, auteurs, illustrateurs etc. Ils et elles doivent désormais demander une attestation qui valide leur statut d’artiste en fonction d’un certain niveau de revenus et de preuves plus ou moins tangibles à réunir, et leur permet ensuite d’accéder à l’assurance chômage.

Toute la difficulté repose sur ce que Tiphanie Blanc appelle le «travail invisible», celui de l’atelier en l’occurrence, de la recherche et du tâtonnement parfois, que l’on peut difficilement transposer dans un portfolio. Il faut aussi faire valoir des bourses ou des subventions pour atteindre le niveau de revenu requis prouvant que l’activité d’artiste est bien l’activité principale, soit un équivalent de 156 jours sur 24 mois, équivalent brut de 12 000 euros. «Avec ces 12 000 euros sur deux ans, tu obtiens une indemnisation de 1 600 euros bruts. On reste en dessous du revenu de base», commente Tiphanie Blanc qui estime qu’il faut attendre au moins un an d’application pour faire un premier bilan de ce que d’aucuns appellent «la réforme Frankenstein» car elle aurait cousu beaucoup de revendications ensemble. «Mais il y a quand même finalement des bonnes choses, c’est moins pire que rien», estime la commissaire d’exposition qui a mené en parallèle un autre combat, victorieux lui aussi : la mise en place d’un projet pilote avec 200 000 euros alloués à huit lieux subventionnés permettant ensuite de rémunérer le travail des artistes. Avec ses homologues français, elle aimerait désormais travailler à un niveau plus européen.

«On ne peut pas laisser au marché le soin de décider qui a le droit de vivre ou d’en vivre», estime le député Pierre Dharréville, protéger les travailleurs et travailleuses de la culture est fondamental, le geste créateur c’est un travail.» Et d’ajouter une donne intéressante au débat : «Il faut une protection sociale qui aille un peu plus loin, cela paraît d’autant plus indispensable au moment où l’intelligence artificielle menace de remplacer le travail humain et fragilise encore un peu plus le travail de certains artistes et auteurs.» Espérant rameuter demain quelques commissaires aux affaires sociales ou aux commissaires culturels «car le sujet se situe à la croisée des deux», il se prend à rêver d’une proposition de loi transpartisane. Quant à la nouvelle ministre de la Culture ? «Oui nous l’interpellerons d’une manière ou d’une autre», confirme le député qui avec les associations et syndicats espère que cette question passera vite à l’agenda d’une Rachida Dati visiblement pressée de faire avancer ses dossiers.

Hier dans Libération > https://www.liberation.fr/culture/un-nouveau-regime-de-lintermittence-pour-les-artistes-auteurs-20240212_UCTHHQU5SRABDC4DUUUCSKEMMU/?redirected=1

A suivre, François

 

 

 

 

Attachment: image001.jpg
Description: JPEG image



  • [rue] Repolitisation d’une profession, via rue Mailing List, 14/02/2024

Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.

Top of page