Elections législatives : quoi qu’il arrive, la gauche pourra dire « merci la street » !par Ulysse Rabaté, chercheur en science politique à l’université Paris-VIII publié dans Libération aujourd'hui à 9h36 - TRIBUNE Il reste un tour. Nous saurons dans une semaine si la France est capable de ce sursaut qui arrêtera, pour cette fois, la dynamique mortifère. Il est encore possible d’éviter une majorité absolue pour l’extrême droite. On se pince pour être sûr de formuler cette phrase, mais nous en sommes là. Cela dépendra de la mobilisation sur de nombreux territoires où le verdict n’est pas rendu. Mais il faut noter une chose : en de nombreux lieux, le travail est déjà accompli. C’est un acquis en même temps qu’un problème. Les habitants des quartiers populaires sauvent l’honneurEn effet, les quartiers populaires des grandes agglomérations ont fait preuve d’une magnifique mobilisation. Les résultats qui sont arrivés en deuxième partie de soirée (il s’agit d’ailleurs sans doute de repenser le format de nos soirées électorales, qui traitent mal ces dynamiques du fait de l’arrivée tardive des données venues des centres urbains) ont mis en lumière une détermination impressionnante à faire gagner les candidat·es du Nouveau Front populaire. Dans le contexte, il n’est pas exagéré de dire que les habitants des quartiers sauvent la gauche et sauvent l’honneur. En banlieue parisienne, mais aussi dans une moindre mesure à Toulouse et à Marseille, une «autre vague» d’élections au premier tour, de députés de gauche cette fois, est apparue comme un contrepoint salutaire à l’interprétation d’un engloutissement total du pays par le RN. A Corbeil-Essonnes (91), Bondy, Sevran (93), Créteil (94), Ivry-sur-Seine (94) ou encore à Villiers-le-Bel (95), les scores dépassent largement les 50 %. Dans les bureaux de vote des quartiers populaires, les scores atteignent fréquemment entre 70 et 80 % des voix. Les quartiers limitent la casse et, d’un point de vue électoral, ils maintiennent vivante la gauche comme perspective possible d’opposition au néolibéralisme et au racisme. Beaucoup à gauche peuvent (et doivent) dire aujourd’hui : «Merci la street». Et ce n’est pas seulement un phénomène électoral. Durant cette campagne éclair, l’observation de la manière dont elle se déroulait donnait à voir un accueil exceptionnel des candidats de gauche. Pour le chercheur, cet accueil est en un sens miraculeux, presque illogique quand on regarde l’histoire politique conflictuelle entre la gauche et les quartiers. On invite le candidat à faire une «brésilienne» (même s’il ne sait pas ce que c’est), on accepte d’être photographié et filmé (alors que la question de la caméra reste un sujet sensible dans les quartiers), on laisse les candidats donner le coup d’envoi des matchs des fameuses CAN des quartiers… Bref, on «joue le jeu» de la politique. Capacité à passer outreCet accueil n’est pas dénué d’une analyse de la situation et parfois d’une pointe d’ironie. Les faiblesses de la gauche et les calculs cyniques dont ces territoires populaires sont le théâtre ne sont pas ignorés. Cette élection n’a, à ce titre, pas fait office d’exception, au contraire. Mais l’exercice de l’engagement dans les quartiers est depuis longtemps déjà marqué par une certaine connaissance critique des mécanismes du champ politique et une capacité à passer outre quand les circonstances l’imposent. Ainsi s’est exprimée clairement dans ce contexte une conscience de l’enjeu, qui n’a pas faibli jusqu’au vote. Le jour de l’élection, les scènes étaient joyeuses devant les bureaux de vote : on savait pourquoi on était là, contents de se retrouver autour d’une tâche dont on s’accordait à définir le caractère positif. Les mamans et les papas âgés qui n’avaient pas voté depuis longtemps, demandaient aux jeunes ou aux voisins de les amener au bureau de vote, le bulletin rouge à la main. Au Blosne, à Rennes, une «ancienne» du quartier découvrait en riant qu’elle n’était plus inscrite sur les listes : tant pis, le trajet à pied entre les bâtiments valait sans doute plus qu’une enveloppe dans l’urne. Cette mise en mouvement fut d’autant plus aisée qu’elle correspond à une mobilisation contre l’extrême droite qui est «déjà là» dans les quartiers. Il s’agit de reconnaître une «avance» réelle des mobilisations des quartiers sur le champ politique traditionnel quant à l’appréhension de la menace concrète notamment en termes de violence immédiate, à l’encontre des jeunes et des très jeunes, que représente l’avancée des idées d’extrême droite dans l’espace public. Préservation d’un espace pour vivre et faire de la politiqueDans les luttes historiques de l’immigration et des quartiers populaires d’abord, qui mettent cette question au centre depuis les années 80. Dans les pratiques politiques ordinaires dans les quartiers populaires, ensuite, à savoir ces multiples engagements du quotidien qui structurent un investissement dans l’espace public sans aucune affiliation politique. Au sein de celles-ci, le positionnement à l’égard du racisme est permanent. Ce que nous avons observé dimanche 30 juin, c’est le passage du registre de la pratique ordinaire au registre de la mobilisation électorale, de manière très pragmatique et «habituée», comme dirait le rappeur Dosseh. Pour beaucoup d’habitants des quartiers, le discours et les pratiques d’opposition au racisme font partie de la préservation d’un espace pour vivre mais aussi pour faire de la politique. Dans ce processus s’est composé un prisme intellectuel et politique marqué par l’ouverture, et qui refuse la fatalité des fragmentations. Inutile de faire un dessin pour expliquer comme cette compétence particulière va être nécessaire pour penser la gauche, dans les années qui viennent. Ulysse Rabaté est l’auteur de Streetologie. Savoirs de la rue et culture politique (Editions du commun, 2024).
Et aussi > Nous, jeunes des quartiers populaires, appelons à l’union de la jeunesse pour faire front contre l’extrême droiteAlice Diop : «L’extrême droite au pouvoir, ce n’est pas un inconfort moral mais une peur réelle, la vie ou la mort»Dans un quartier prioritaire de Nice, la peur des personnes racisées : «Depuis les européennes, on remarque un lâcher-prise sur le racisme»Dans ma cité, à la Benauge, 56% pour le candidat du Nouveau Front Populaire au 1er tour 😉. On ne lâche rien.Bien à vous,François |
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