Félicitations à Emmanuel Macron, génie incompris de l’Elysée, par Luc Le Vaillant - Chronique parue dans Libération le 8 juillet 2024

Lettre de congratulations imméritées au fin stratège présidentiel sauvé sur le gong par le désistement républicain et qui devrait éviter de faire le malin.

Cher Emmanuel,

Quel sens du suspense ! Quelle capacité à souffler le chaud et le froid ! Quel art consommé de la mise en scène ! Je ne peux que m’incliner. Tu t’es révélé être un excellent scénariste de films d’horreur. Planqué sous mon siège, j’ai imaginé jusqu’au dernier instant que le jeune cravaté et sa duègne blonde allaient réussir à égorger la démocratie. Avant que, en show runner irrésistible, tu ne nous concoctes un happy end improbable et que tu fasses grimper au cocotier du Palais-Bourbon un sauveur nommé NFP qui croupissait dans les abysses de la désolation.

Cher président, tu m’as fait la peur de ma vie. D’ailleurs, beaucoup risquent d’avoir du mal à te pardonner ces haut-le-cœur saisissants, ces accès de désespoir et ces angoisses fatales. Cela nous a saisis au garrot tant nous craignions que le RN envoie par le fond l’ouverture aux autres, le métissage des plaisirs, l’étrangeté des beautés, la folie créative et la bravade des interdits.

Cher Emmanuel, quand tu as dissous, j’ai cru que tu décompensais et que tu cherchais une manière de te venger d’une nation qui t’avait manqué. Je me suis dit que tu trépignais de colère et que tu retiendrais ta respiration jusqu’à ce que le peuple délétère et assez phacochère cède à tes objurgations. Jusqu’à ce qu’il retrouve enfin la raison et se rende à la tienne…

Cher président, je reconnais que c’est une vision inutilement psychologisante et parfaitement blessante. Jamais, je n’aurais imaginé que toi qui avais détruit la gauche Hollande et dépecé la droite Wauquiez, tu étais en train de gonfler la baudruche RN pour mieux faire exploser la bulle de chewing-gum de la grenouille qui se prenait pour un bœuf. Tu ne pouvais pas mieux scier le moral de la bande de xénophobes et de branquignols qui voyait déjà Bardella à Matignon. Chapeau bas, cher stratège incommensurable ! Je parie que tu voudras à nouveau attirer à toi les clans désunis et les tribus revêches pour mieux les engluer et les avaler d’un coup de langue de caméléon. Tu es convaincu, je le sais, de pouvoir une fois encore les grignoter, les segmenter et les recracher en un jet méprisant, du haut de ta superbe retrouvée.

Cher Emmanuel, il faut reconnaître que tu as fait mieux que repousser hors de l’arène officielle le minotaure RN. Tu as réussi l’exploit de vitrifier le paysage politique et d’être le seul à survivre sans séquelles apparentes aux grenades dégoupillées que tu as jetées dans nos jambes. Tu semblais avoir perdu le sens commun et en être réduit à planquer ta honte sous une casquette surbaissée tout en camouflant ton orgueil meurtri sous un cuir noir à la Johnny. Et puis, après avoir tout dévasté, te voilà renaissant comme le phénix. Le pays est ingouvernable. L’Assemblée est ingérable. Le bipartisme est enterré. La cinquième République est agonisante. Ton Premier ministre fait savoir qu’il t’en veut mais devrait consentir à ce que tu continues à arracher ses ailes de phalène. Tout le monde s’agenouille avec humilité feinte devant la sacro-sainte coalition à l’allemande que voudraient les Français. Cela correspond, fais-tu valoir, à la philosophie initiale du macronisme. Mais les partis n’attendront pas deux secondes pour se châtaigner comme à l’ordinaire. Mieux, chez LFI ou chez LR, ça s’excommunie et ça se décapite déjà en pleine lumière.

Ce matin, tu jubiles en Machiavel mésestimé, en Borgia moqué, en doge de Venise sauvé des eaux. A défaut de moustache, tu frises tes favoris à la Lucky Luke. Tu as reconquis ton empire malaisant et problématique, mais le roi n’est pas ton cousin, tant tu as failli tout perdre. Le bordel est maximal, le bruit et la fureur garantis, les avanies et avaries assurées. Capitaine outrageux, tu as tellement frôlé l’abîme et manqué d’envoyer la patrie aux enfers que le soupir de soulagement du peuple fraternel et égalitaire te vaut ballon d’hélium inespéré et goulée d’oxygène injustifiée.

Cher Emmanuel, tu vas pouvoir amuser la galerie au sommet de l’Otan, refaire le beau sur les tréteaux internationaux, redonner meilleure figure à l’hospitalité olympique qui semblait le cadet de tes soucis quand tu as tout envoyé valser. Tu as saisi d’effroi ceux qui s’inquiétaient que la République puisse être laissée aux mains des autoritaires aux grosses pattes et des sécuritaires aux poings fermés. Comme tu nous vois soulagés, tu penses que c’est gagné. Tu as tort, ce n’est qu’un répit illusoire. Le RN va capitaliser sur sa vexation et sur ses illusions perdues. Les gauches et les droites sont incapables de s’entendre. Les trois France, celles des bourgs, des tours et des centres-villes, se méconnaissent et se craignent, quand elles ne se détestent pas. Tu as voulu rendre la parole au peuple ? Il t’a fait un doigt d’honneur avant de te rattraper par les bretelles.

Cher génie incompris de l’Elysée, je te souhaite bonne chance.

A suivre, François