Je m'appelle Julien et je suis programmateur.

De musique.

Cette année, on avait décidé de se mettre à la rue pour les dix ans du festival.

Quand ils sont arrivés, je les ai repérés tout de suite.

Un des petits plaisirs de tournée des gens de la rue, c'est de pouvoir garer le camion n'importe où, et particulièrement là où c'est interdit.

C'était donc avec le sourire que Rod levait le frein à main, tandis que derrière lui j'apercevais ses potes qui se marraient en regardant notre déco pendre des arbres.

L'an passé on avait pris un bon bouillon, dû en bonne partie à des têtes d'affiches aux tarifs délirants.

Les musiciens ne se sentent plus depuis qu'ils ne vendent plus de disques, et avec la tribu d'intermédiaires qui les tiennent debout, on ne s'en sort plus.

Cette année, on avait décidé de créer un espace dédié à la rue.

Je le présentais avec fierté à Rod, et on se rappelait quelques moments difficiles...

Cette fois où 5 minutes avant le final, la grande scène avait commencé à envoyer de la grosse basse pour annoncer Sinsemillia, et où tout le public s'était barré, un public pourtant complice, qui se marrait avec eux. Ils les avaient plantés là, courant pour traverser le champ, c'était aux Feux de l'été...

Celle où on avait évité d'aller voir 2 rien Merci parce que Kool Chen beuglait dans son micro derrière, au Paléo.

Les Trévignolles en plein Luxey, au milieu de 30000 mecs bourrés...

Tous ceux-là l'ont bien compris d'ailleurs. Les Charrues, le Paléo, Musicalarue, ils ont créé de vrais espaces pour ce qui est devenu une composante incontournable de leur festival.

Cette fois-ci, on partait donc nous aussi sous de bons auspices.

Je lâchais Rod un bon moment pour régler des soucis de billetterie et des tensions avec la prod de notre gros concert du soir.

Ils voulaient être payés tout de suite, et en cash... classique, et vraiment relou.

Quand je revenais sur place, les tekos buvaient une bière, légèrement hébétés derrière la console du chapiteau.

Les artistes étaient ici tous autonomes, cordiaux et pas stressés.

Le régisseur général me confiait qu'il était carrément content de bosser dans l'espace rue cette année. Tout le monde lui avait serré la main.

Je passais dans les loges, Fred Tousch avait branché sa gratte, et François s'installait, une roulée au coin du sourire.

Djam le Grand tchatchait à tout rompre et les Kag avaient ramené du bon pinard. Il y avait Manu Nashville et Arnaud Aymar en Oiseau Bleu.

Avec une équipe pareille, je sentais bien qu'on allait se marrer. 

J'ai fait tout ce que je pouvais pour revenir dès que possible côté rue.

Les spectacles s'enchaînaient, les gens se marraient, la nuit tombait et tout allait bien.

On fumait épicé, derrière les Héras ça applaudissait régulièrement, il y a eu un concours de bons vins dans les loges (le bio vainqueur), les éclats de rires nous revenaient en brouhaha...

Et ce fut la surprise: ils s'étaient connectés juste avant le festival pour préparer une connerie à improviser tous ensemble...

Bas résilles, torse-poil, perruques de vrais cheveux longs, grattes et amplis à piles, j'avais un nouveau groupe dans la prog, un groupe de Métal: Métallion.

Ils sont sortis sur le site, chercher les gens qui passaient sagement, de bars à gobelets en scènes musicales.

Les grattes pointées, les amplis sur 13, ils ont rapidement fait un cercle médusé puis mort de rire.

Ils jouaient à 1-2-3 Métal avec eux avant de les pogoter, leur ont fait faire un pit circle et un brave heart, Arnaud dansait en se frottant aux grilles, ils leur slamaient dessus, hurlaient, haranguaient, les gens les applaudissaient comme des stars, c'était du délire, du n'importe quoi, c'était Métallion.

Sur le chemin des loges je lâchais au président de l'asso: "Mon rêve ça serait que cela soit partout comme ça, sur tout le site...".

J'ai dû revenir aux loges des musiciens pour un souci de couleur de serviette.

Elles étaient froides, silencieuses, et les bénévoles s'y faisaient chier.

Dans la grande salle, 2500 personnes attendaient le groupe phare.

2500 entrées...

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