Bonjour
Mon avis: le Conseil d'Etat avait la tâche de
protéger deux libertés publiques: l'ordre public (la possibilité d'agir
paisiblement) et la liberté d'_expression_, deux libertés publiques de niveau
constitutionnel. Il a donc, sans surprise, suivi le gouvernement en renvoyant
à chaque fois à l'appréciation du juge pénal; mais il a limité cette
pénalisation (le droit de poursuite pénale) en protégeant la liberté
d'_expression_ politique, philosophique et artistique, ce qui est considérable.
On verra ce que produira la jurisprudence; mais les artistes qui piétineront
le drapeau dans le cadre d'une action artistique ou même d'une action
politique seront protégé par l'arrêt du conseil d'Etat. A mes yeux, cet arrêt
est un échec pour le gouvernement et une avancée pour la liberté d'_expression_
et la liberté artistique. Les artistes de rue pourront posséder
avantageusement la copie de l'arrêt du conseil
d'Etat.
Amicalement
JJDelfour
CREDOF
Centre
de Recherches et d’Études sur les Droits Fondamentaux – Université Paris Ouest
Nanterre
La Défense
Actualités Droits-Libertés du
29 juillet
2011 par
Cédric Roulhac
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I –
LIBERTÉ D’_expression_ ET ORDRE PUBLIC (Art. 10 et 11 DDHC et Art. 10
CEDH) :
La nouvelle infraction d’outrage au drapeau s’arrête là où commence la liberté
d’_expression_ politique, philosophique et artistique
A la suite d’une
affaire largement médiatisée en 2010 au sujet d’une photographie récompensée
dans le cadre d’un concours organisé sur le thème du « politiquement
incorrect », le ministre de la justice de l’époque avait annoncé son
souhait de renforcer la législation
relative à l’outrage au drapeau tricolore (déjà constitutif depuis 2003
d’un délit codifié à
l’art.
L. 433-5-1 du Code pénal
lorsqu’il est commis publiquement durant une manifestation organisée ou
réglementée par les autorités publiques). A cette fin, fût adopté le décret n° 2010-835 du 21 juillet 2010
relatif à l'incrimination de l'outrage au drapeau tricolore
aujourd’hui codifié à l’article R
645-5-1 du Code pénal. Ce
dernier sanctionne de l’amende prévue pour les contraventions de cinquième
classe le fait de détruire, détériorer ou utiliser de manière dégradante le
drapeau tricolore, dans un lieu public ou ouvert au public (al. 1), ou de
diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à de tels
faits, mêmes commis dans un lieu privé (al. 2).
Saisi par la
Ligue des droits de l’homme d’un recours pour excès de pouvoir, le Conseil
d’État relève la « généralité de
la définition des actes incriminés » mais conclut à la légalité du
décret. Il valide ainsi la nouvelle infraction au terme d’un raisonnement ou les
considérations relatives aux exigences de l’ordre public jouent un rôle
déterminant.
Sur le plan de
la répartition des compétences entre la loi et le pouvoir
réglementaire tout
d’abord, le fait que la pénalisation du comportement incriminé vise à
sauvegarder l’ordre public justifie pour le Conseil d‘État la compétence du
pouvoir réglementaire. La Haute juridiction admet que cette incrimination peut
avoir « pour effet de limiter l’exercice d’une liberté
publique garantie par des dispositions constitutionnelles ». Mais,
nuance infime, elle juge que ceci ne signifie pas nécessairement que ladite
incrimination aura « pour objet de
réglementer l’exercice de cette
liberté », cette dernière tâche relevant de la compétence du seul
législateur en vertu de l’article 34. Or en l’espèce, le Conseil d’État estime
que l’infraction litigieuse vise « seulement [à]
apporter [à une
liberté constitutionnelle] les
limitations nécessaires à la sauvegarde de l’ordre
public ». Un
tel raisonnement avait déjà été adopté à propos décret n° 2009-724 du 19 juin
2009 relatif à l’incrimination de dissimulation illicite du visage à
l'occasion de manifestations sur la voie publique (CE
23 février 2011, 10ème et 9ème SSR, Syndicat national des enseignements de
second degré et a., N° 329477 –
ADL du 27
février 2011).
En ce qui
concerne les effets de l’incrimination sur l’exercice de la liberté
d’_expression_
(Art. 10 DDHC et CEDH) et de la
liberté de communiquer ses opinions (Art. 11 de la DDHC), le juge
administration relève que les deux comportements visés ne sont sanctionnés que
lorsqu’ils sont « commis dans des
conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager
le drapeau tricolore ». Il en déduit que le pouvoir réglementaire n’a
entendu incriminer « que les
dégradations physiques ou symboliques du drapeau susceptibles d’entrainer des
troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques et commises dans
la seule intention de détruire, abîmer ou avilir le drapeau ». Cette interprétation de l’intention des
auteurs du texte et de son objet aboutit logiquement à restreindre l’impact de
l’incrimination sur l’exercice des libertés. En effet, ne tombent plus
sous le coup de l’infraction les actes concernés qui reposeraient « sur la volonté de communiquer (…) des
idées politiques ou philosophiques ou feraient œuvre de création artistique,
sauf à ce que ce mode d’_expression_ ne puisse, sous le contrôle du juge pénal,
être regardé comme une œuvre de l’esprit » (sur la protection de la
liberté d’_expression_ politique, v. Cour
EDH, 5e Sect. Déc. 7 juin 2011, Bruno
Gollnisch c. France, Req.
n° 48135/08 – ADL du 24
juillet 2011 ; Cour EDH, 3e
Sect. 15 mars 2011, Otegi
Mondragon c. Espagne, Req. no 2034/07 – ADL
du 16 mars 2011 ; sur
la protection de la liberté d’_expression_ artistique, v. Cour
EDH, 2e Sect. 16 février 2010, Akdaş
c. Turquie, Req.
n° 41056/04 – ADL
du 16 février 2010 ; sur la liberté de critiquer des éléments
touchant aux « valeurs
nationales » : Cour EDH, 2e Sect. 19 juillet 2011,
Uj
c. Hongrie, Req.
n° 23954/10 – ADL
du 19 juillet 2011).
Partant et « compte tenu de ces
précisions », il peut estimer qu’une juste conciliation a été opérée
dans la mesure où le décret ne porte pas une atteinte excessive aux libertés
concernées.
CE,
19 juillet 2011, 10ème et 9ème
SSR, Ligue des droits de
l’homme, N° 343430
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