Liste arts de la rue

Archives de la liste Aide


[rue] Pas tout seuls. Pas cette fois.


Chronologique Discussions 
  • From: Granier Fabien < >
  • To: Liste Rue < >
  • Subject: [rue] Pas tout seuls. Pas cette fois.
  • Date: Fri, 6 Feb 2015 01:10:57 +0100

Chers partenaires et compagnons de route, directeurs de théâtres, de scènes nationales, de festivals, de centres dramatiques ou chorégraphiques, de CNAR, de PNAC, de SMAC et autres acronymes…

Chers élus,


Face à nous, ça va très vite. Et nous autres, artistes, administrateurs, compagnies – les artisans de l'art – commençons à être bien trop préoccupés par la survie de nos existences pour continuer à mener la lutte que vous devriez être en train de mener depuis longtemps.

Je dis bien «  nos existences ». Notez. Pas « nos carrières » ni « nos métiers ».

Nos existences : ce pour quoi on se lève. On se couche. On se bat.


Depuis novembre, c'est l'horreur. Les productions s'effondrent. Les théâtres se font traîner dans la boue. Les tournées s'arrêtent. Et l'intelligence recule partout au profit de chefferies municipales.

Et en face : rien. Ou quasi.


Nous autres, tout en bas de la chaîne alimentaire, on déguste. On déguste. Vous avez pas idée à quel point on déguste.

On ferme.

On sombre.

On s'enlise.

Et en face : rien. Ou quasi.


On voit fermer des gueules qui auraient du s'ouvrir en grand.

Sur l'air du « c'est comme ça ».

Quimper. Saint Priest. Roanne. Cusset, Montpellier – les ZAT… Partout. C'est comme ça.

Vous savez qu'à Cusset, la mairie a interdit au directeur du théâtre de prendre la parole avant les spectacles ?

C'est comme ça.

Vous savez qu'à Quimper, toute l'équipe d'un festival s'est faite humilier en public par le maire ?

C'est comme ça.

Et à Roanne vous savez qu'il s'est fait virer, Sefsaf ? Juste virer ?

C'est comme ça.


Nous autres, artistes, compagnies, on a fait ce qu'on a pu. On s'est battu. Puis re-battu. Comme des crétins. Pour sauvegarder nos existences. Nous avons mis nos vies et celles de nos familles en péril dans des actions que vous avez vaguement soutenues de panneaux, de croix blanches et de bonnes paroles.

C'était dur. On s'est mis en danger.


Et là, rien. Ou presque.


Pourtant, ce qui a commencé à l'automne : c'est la vôtre, de lutte. La vôtre.

C'est vous qui devriez vous embraser, là. C'est vous qui êtes au premier rang. C'est vous qui êtes attaqués. C'est votre travail, depuis trente ans, votre dignité, les choix de vos vies, à vous.

Depuis deux mois déjà, il aurait du commencer le ramdam. Ils auraient du rugir, les refus. Elles auraient du commencer les actions symboliques. Les réunions. Les gueuleries. Les assauts de ministères pour forcer le front. Les grèves. Les blocages. Les sittings. Que sais-je...

Vous en avez le moyen de tout ça : visibilité, presse, communication, abonnés, équipes permanentes et rémunérées...


Or : rien. Ou quasi. Quelques plaintes indignés. Ici et là. La Ministre qui fait les gros yeux. Une lettre. Une évocation.

Puis les abdications. Et la répercussion sur nous autres, artistes et compagnies, des arbitrages stupides contre lesquels vous vous êtes élevés, avant de vous ranger bien vite, dociles.


Mais on parle de quoi, là ?


C'est pas une lubie, ce à quoi on assiste : c'est un acte politique noir. Toxique. On le sait tous, pourtant. On le voit tous. On y assiste tous, au recul de la pensée. De l'intelligence. De l'art. Toutes ces quêtes infatigables du vingtième siècle.

C'est grave, putain. C'est dangereux ! C'est la phase un de l'obscurantisme.


Alors qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi c'est mou comme ça ?


C'est encore à nous d'y aller, c'est ça ? C'est encore à nous à descendre ?A risquer à nouveau nos statuts ? A nous colleter l'hostilité générale ?Les « unes » outrées ?

C'est à nous d'endosser vos missions… La propagation de l'art, tout ça ? L'éducation ? L'ouverture ? C'est à nous de les défendre ?

Je suis désolé, mais merde : pas seuls, cette fois. Pas tout seuls !


Vous, vos postes vous attendent. Vos rémunérations aussi.

Nous : non.

Et c'est pourtant nous qui les payons, les frais. A chaque fois. C'est nous qui les perdons, les dates. Les projets. Les moyens de produire.

C'est nous qui les voyons se ramasser, nos œuvres.



Alors prenez des risques avec nous, bordel ! Pour une fois : prenez en ! Montrez que vous êtes des militants, pas des parlementaires. Montrez que vous croyez toujours à l'importance fondamentale, épaisse, criante de l'art et de sa diffusion. Montrez que c'est pas des postes que vous perdez, mais des batailles. Montrez que vous y croyez vous aussi, à l'importance vitale de ce que vous faites.

C'est pas à nous de payer la note. Pas tout seul.


Quittez vos bureaux et levez les poings avec nous ! Et renversez les, les tables. Avec les spectateurs. Et les auteurs. Et les techniciens. Et tout le monde.


On a pas encore tout perdu.

Mais faut y aller.


Il faut y aller maintenant.



--
Fabien Granier

"Mon Dieu
Dit la reine
pleine de joie
Dieu que la vie est belle
même si l'on meurt quelque fois"
         (Prévert)



Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.

Top of page