Hep, les garçons et les filles de l‘espace public
je déteste ce mot, je préfère RUE
je disais ça dans le temps comme proverbe personnel
"quand j‘étais petit, j’aimais descendre jouer dans la rue, je n’ai jamais cessé de le faire "
Cessez sans arrêt de vous plaindre.
Je suis obligé, à cause de vous, plaintes à quatre pattes, de me mettre en avant, et tant pis pour les injures, les insultes, les mises au tapis, la dévalorisation de l’autre pour avoir raison de lui,
à mon âge on a été tellement souvent rejetés que notre corps est devenu une armure pleine de bleus et de bosses.
Il y a énormément de couards qui pensent plein de choses, mais qui ont tellement peur d’être ridicules qu'ils restent silencieux
Alors je dis quoi :
On ne peut plus attendre le bon vouloir des directeurs des diffuseurs, des programmateurs, des tutelles, des hommes politiques de tous bords.
On ne peut plus écrire des lettres suppliantes pour être pris, de se jeter aux pieds des Cnar, pour attirer leur attention, nous sommes tels les mendiants du métro, personne n’ose même nous regarder en face.
On ne peut plus téléphoner, se faire jeter avec “il est en réunion”
on ne peut plus envoyer de dossiers cartonnés auxquels ils ne répondent jamais
et puis tous ces gens -là, on finit tellement par ne pas les aimer, que par réciprocité, ils finissent pas nous détester.
Alors on ne tourne plus : c’est à cause de la chargée de diff, alors on arrête avec elle, on en prend une autre on ne tourne pas plus.
Nous pensons que nous avons un solide produit, les gens rient, ça attire du monde, les gens disent : on a aimé.
Mais le téléphone ne sonne plus depuis longtemps déjà;
Un jour j’ai dit à Jean Marie dit Whitty, qui s’occupe de faire dans son village de Volmerange une petite programmation. Mais pourquoi tu ne prends pas Gourmandisiaque ? Parce qu’à un moment on parle
de fellation ?
Il me répond : je ne peux pas , je ne peux pas. Il y a une Mairie derrière moi. C’est la Mairie qui paie. Ça va faire des histoires avec les cathos etc.
Mais Jean Marie , tu es le premier à dire que le théâtre doit déranger, interpeller, être “ borderline”. Tu as bien vu à Chalon , il y avait un rang d’enfants, ils étaient tous fascinés, justement parce
que ce n’était pas pour eux. Et puis économiquement, ça passe , non ? 3 comédiens , 1 régisseur, Jauge de 400 personnes . Une prise électrique. Une location d’un 20 M 3.
Un jour Jean Marie a fait un événement sur la gourmandise, il nous a pris. Il n’avait pas assez d’argent pour nous payer, alors on a été payé en bouteilles d’eau de vie qu’ils distillent dans la MJC
du village. il n’y a eu aucune plainte, deux familles catholiques ont quitté la représentation au moment de la fellation, seul incident notable.
En 7 ans que 43 représentations de Gourmandisiaque
Quand c’est du classique ça passe un peu mieux : Macbeth en forêt : 45 représentations en 4 ans. deux de prévus en 2018. (Quand on pense que même la forêt est un espace qui n’est pas libre).
Oncle Vania à la campagne : 89 représentations en 11 ans. Mais on avait joué 20 fois à Villeneuve en scène en 2006.
et la Nuit Unique créé en 2017 , nous en sommes à 4, mais 4 qui s’annoncent . Cela dure 7 heures. 10 comédiens , 2 régisseurs. . 250 personnes allongées.
Moralité : on ne peut plus vivre que de la diffusion et du bon vouloir des prescripteurs.
Jadis, excusez -moi de parler du passé , on n’avait pas de chargée de diffusion, on ne prospectait pas, on jouait 90 fois par an facilement et même plus, puisqu’en 1989 nous avons joué 150 fois, dans trois
continents c’est après cette année éreintante que nous avons décidé de changer de vie et de nous exiler dans l’Est de la France.
9 ans nous avons dirigé une Scène Nationale à Montbéliard, et fatigués d’avoir 30 personnes sous nos ordres et d’avoir tout fait en 9 ans, on a démissionné et on s’est inventé une autre vie, où la diffusion
n’est plus au centre de nos préoccupations.
On nous a proposé de rester dans le pays de Montbéliard , la Mairie d’Audincourt nous prête une maison de maitre, nous avons le studio des 3 Oranges qui peut accueillir 400 personnes , et un magasin d’accessoires
et de costumes qui jouxte la salle de spectacle, + un château prêté par l’agglomération avec 13 chambres, 19 lits, deux salles de bains, deux cuisines etc. On rembourse en nature à hauteur de 45 000 € par an.
On a inventé des événements mises en scène de l’espace social : la caravane passe en A , les 80 ans de ma mère, on fait les ruches, des stages d’art oratoire et une fois par mois le Kapouchnik, cabaret
d’actualité dissident préparé en une journée , joué par 15 acteurs, toujours plein . On marche aux oboles libres. On récupère en moyenne 2300 € par séance. Il y a un réel engouement d’un véritable public populaire. Les réservations se font 13 jours avant,
et en 35 minutes, les 400 places sont prises d’assaut.
On aurait fait un projet A 4 pour cette création, personne ne nous aurait jamais suivi. Personne n’en aurait voulu. Là nous sommes en auto- production. C’est
politique, c’est voyou, c’est limite, c’est érotique, c’est bouffon, c’est ravageur, c’est décoiffant. Et c’est unique.
Tous les midis , il y a un repas, on partage notre lieu , il y a environ quinze compagnies qui défilent chaque année sans que l’on fasse de pub. On discute ensemble des créations qui se préparent. Parfois
ils écoutent les conseils des vieux, parfois non.
On a gardé de justesse notre subvention Drac au titre de la transmission, grâce à Pascale Canivet qui a été conseillère théâtre et une subvention de la Région aussi. La ville et l’Agglo nous ont payé
cette année un petit événement de deux jours.
Voilà, j’ai témoigné. Moralité paysanne : ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.
la cloche sonne, on va manger des paupiettes de veau et une bonne soupe pimentée.
Jacques Livchine
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