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[rue] Occupation vs lacrymaux


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  • From: François Mary < >
  • To: Liste Rue ECM le Fourneau < >
  • Subject: [rue] Occupation vs lacrymaux
  • Date: Thu, 17 May 2018 00:54:37 +0200

Tank, on est là

Alors qu’une nouvelle opération d’expulsion et de destruction de la ZAD est
annoncée dans les heures qui viennent, une analyse la situation écrite par
des habitants de la zone :
"Au fil de cette « trêve » qui a des accents d’occupation militaire, la vie
quotidienne a, de-ci de-là, repris timidement quelques-unes de ses habitudes.
Flics ou pas, il faut semer, soigner les bêtes, tenir les lieux publics. Si
une certaine hésitation se fait parfois sentir au moment de mettre les
graines en terre, elle est vite balayée par cette certitude que les blindés
n’ont su faire vaciller : nous resterons là. Nous verrons les fruits de nos
vergers, nous goûterons nos récoltes à l’automne, peut-être même verra-t-on
les arbres de haute futaie constituer les charpentes des cabanes de ceux qui
sont encore des enfants. Nous n’avons pas attendu les propositions de
régularisation pour nous projeter ici sur un temps long, au-delà même de
notre propre existence. Ce jalon-là nous fait tenir en cette veillée d’armes,
alors que l’on attend la nouvelle opération de destruction qui va frapper la
zad.

Durant celle initiée le 9 avril, nous avons eu l’occasion de mesurer nos
forces. Le mouvement, qu’on disait gangrené par les querelles internes depuis
l’abandon du projet, a démontré qu’il était encore vivace. En face, la
gendarmerie a prouvé qu’elle pouvait sans grande difficulté raser un tiers de
la zad en moins de trois jours. Ainsi, si l’arrivée de milliers de personnes,
les tirs de molotov sur les blindés, les actions de solidarité et la
détermination générale nous ont redonné de l’allant, les manœuvres écrasantes
de la plus grosse opération policière depuis mai 68 nous ont un peu glacés.
Notre force encore vibrionnante faisait face à une possibilité
d’anéantissement éclair de la zone qu’il paraissant bien difficile de
conjurer, du moins par la seule confrontation directe avec les gendarmes. Il
y eut certes des gestes éclatants, mais le dispositif n’a pas été
profondément mis en difficulté. Dans l’histoire de cette lutte, nous n’avons
d’ailleurs jamais contenu les flics par notre seule résistance physique.
Celle-ci a toujours été adossée à des contraintes légales ou juridiques, à
des accords politiques qui venaient entraver et limiter la puissance de feu
des militaires. Notre capacité d’action, y compris sur le terrain, est et
restera de nature politique. Si nous avons pu défendre efficacement le hameau
de la Chateigne en 2012, c’est grâce à l’action simultanée d’une résistance
acharnée et de la bataille légale ayant mis les flics dans l’impossibilité de
détruire les cabanes. C’est donc toujours par des actions conjointes,
politiques, médiatiques et martiales, que nous emportons des victoires. Or
lors de la semaine d’expulsions, il n’existait aucun appui juridique sur
lequel adosser nos barricades. Et nous avions bien compris que la destruction
des 100 noms avait toutes les apparences d’un effet d’annonce : tout est
attaquable, on peut détruire très large.

Le gouvernement, quant à lui, s’est confronté au risque de creuser l’écart
entre son récit médiatique et la brutalité nécessaire à ses velléités
destructrices. L’élévation du niveau de conflictualité des opposants le
poussait en effet à élever le sien, accroissant le risque de tuer, dans une
situation où le soutien au mouvement s’intensifiait. Chacun des adversaires a
d’une certaine manière vu ce qu’il avait à perdre. Et nous, réveillés de
l’impression d’invincibilité sur le terrain que des années de conjuration de
la menace nous avaient données, nous avions davantage à perdre...

On s’en fiche

C’est à ce moment-là que la préfète a brandi ses « formulaires simplifiés ».
Ils donnaient soudain une matérialité aux propos du Premier ministre le jour
de l’abandon de l’aéroport : seuls ceux qui entrent dans un processus de
régularisation pourront rester. Nous savions désormais que la Préfète avait
les moyens de sa suffisance, et sa « proposition » était appuyée à un
ultimatum tout à fait clair : rendre ces formulaires avant le 24 avril sans
quoi les opérations reprendraient. Jusqu’au dernier moment l’hésitation a
régné. Il paraissait fort peu plausible que l’État recule face à une fin de
non-recevoir de la zad répondant à une demande semblant somme toute
minimaliste. Beaucoup de voisins compagnons de lutte ne comprenaient
d’ailleurs pas nos tergiversations, nos réticences à saisir ce qui
ressemblait à un moyen simple d’éviter l’assaut final. Certaines composantes
disaient également ne pas vouloir s’engager plus loin avec nous en cas d’un
refus net. Finalement, l’assemblée a décidé d’utiliser cette prise des fiches
pour sortir de cette séquence et tenter de protéger par ce biais le
territoire de la zad. Il fallait pour cela que les formulaires couvrent les
parcelles et habitats du mouvement. Ce pari a été largement partagé. Quelques
lieux ont toutefois refusé cette stratégie.

Tout a été fait pour tenter de subvertir le cadre imposé par la Préfecture :
des associations se sont glissées au milieu des rares individus, des
agriculteurs se sont inscrits comme « parrains », plusieurs activités
(agricoles ou non) ont déclaré les mêmes parcelles et enfin chaque projet
était lié aux autres, l’ensemble étant remis dans une énorme liasse commune à
la Préfecture. La carte des usages ainsi dessinée ressemblait davantage à nos
manières de faire, car il s’agissait également de rendre visible
l’entremêlement de nos existences : sur un même champ, le verger plante des
arbres en bordure, le groupe céréales effectue une rotation de sarrasin et
l’année suivante c’est le groupe patates qui met en terre ses tubercules.
Sans parler du rassemblement d’été qui s’y organisera peut-être, ou de la
salamandre géante qui trône désormais entre les rangs fraîchement labourés.
Cet écheveau peine tant à rentrer dans les cadres que les bureaucrates de la
Direction Départementale des Territoires et de la Mer, en charge de l’étude
des fiches, ont fini par nous dire : « Mais pourquoi l’État ne vous signe pas
une convention collective, ce serait tout de même plus simple ! » De même,
lorsqu’ils ont convoqué une à une les personnes ayant donné leurs noms, c’est
toutes ensemble qu’elles sont venues, vêtues de tee-shirts sur lesquels était
sérigraphié :« zad, on la joue collective ».

Le résultat immédiat de cette tentative revenait à enjoindre l’État
d’annoncer que oui, effectivement, les zadistes, ceux qu’il vouait hier aux
Gémonies, allaient finalement continuer à vivre sur ce territoire. Que sous
un discours rigoriste, ce qui se tramait ressemblait à une des plus massives
régularisations de squatteurs de l’histoire française. La droite, à travers
la voix de la présidente de Région, ne s’y est d’ailleurs pas trompée en
s’offusquant publiquement : « Dans le fond, au-delà de la mise en scène de la
force brute, la vérité crue de cette opération c’est que l’État va donner des
terres aux zadistes et qu’ils vont rester. » Comment ? C’est ce que les
batailles à venir nous diront. Ces formulaires, légalement, n’engagent pas
les parties en présence pour le moment. Il ne s’agit pas d’un contrat, mais
d’une simple déclaration d’intention. La préfète prétendait qu’elle voulait
des noms, elle les avait en réalité déjà dans les nombreuses procédures
juridiques par lesquelles nous défendions nos habitations. C’est donc avant
tout et en premier lieu un échange symbolique permettant la « trêve » qui a
été accompli. Et en effet, ils ne sont pas revenus expulser le 24 avril.

Nous ne nous leurrons cependant pas sur la visée de cet échange : l’État
cherche à nous trier. Il a, de fait, très peu d’imagination. Et comme tout
bureaucrate, sa logique ne peut dépasser le binarisme. Il agit comme si la
zad était peuplée d’un côté de radicaux qui bâtissent des barricades et
jettent des cocktail molotov, et d’un autre de gentils porteurs de projets
qui n’attendent que de se régulariser. Il croit sans doute qu’une fois que
les seconds auront rempli leurs fiches, il suffira de déloger les premiers
pour que le bocage redevienne paisible. Il applique à notre situation ce
qu’il a – presque - réussi à faire advenir partout : l’univocité des êtres.
Cette séparation est un des lieux communs les plus absurdes de la pensée
occidentale, ce qui explique sans doute qu’il soit si abondamment repris,
dans les médias mainstream ou non. Mais voilà, celles et ceux qui tentent par
la négociation de rouvrir des brèches pour l’avenir se sont aussi dressés
avec toute la véhémence qui convient face à lui dès le 9 avril. Ce n’est pas
parce qu’on monte sur une barricade qu’on ne sait pas tenir un crayon ou
traire une vache, et vice versa. L’État a donc aussi contribué à donner à
certains de ses farouches opposants des moyens de consolider leur situation…

Phobie administrative

Mais si donner des « gages de régularisation » semble aujourd’hui nous
préserver d’un anéantissement total, il se peut que demain cela soit
l’inverse, que nous nous retrouvions mis en péril par une individualisation
trop poussée des situations et les contrôles qui en résultent. Et il ne faut
pas sous-estimer la force d’engrenage et de modelage de la vie que produisent
les procédures d’installation. Leur visée consiste aussi à nous faire croire
qu’elles constituent la seule manière de se rapporter au monde, et si nous
n’y prenons pas garde, elles peuvent rapidement s’imprimer sur nos désirs et
nos envies. Nous ne savons pas jusqu’où la « stratégie d’auto-défense
administrative » du mouvement aura un sens ni quelles marges de manœuvre nous
aurons le moment venu pour rompre ou nous en dégager, cela dépendra là encore
des liens et des solidarités que nous aurons continué à faire vivre dans
cette nouvelle phase de la lutte. Nous n’avons aucune garantie, pas plus dans
cette voie que dans une autre. C’est un pari, une hypothèse qui repose bien
plus sur la force réelle du mouvement de soutien que sur l’illusoire
bienveillance de l’administration française. Pour qu’il fonctionne, il nous
faudra encore et toujours nous battre aussi au sens propre du terme.

Ce pari, le mouvement ne l’a pas fait par goût, comme chacun s’en doute. Il
s’appuie sur un constat, guère agréable à énoncer : la zad n’est plus la zone
de non-droit qu’elle avait su être depuis 2013. Et au vu du nombre de flics
qui la parcourent chaque jour, il y a bien peu de chances qu’elle le
redevienne, du moins pas aussi ostensiblement qu’avant. Le rapport de force a
évolué, et il nous faut bien en prendre acte. En 2016, quand les dernières
barrières légales concernant les habitants historiques sont tombées, il a
fallu quatre manifestations de plusieurs dizaines de milliers de personnes
afin de dissuader l’État d’évacuer. Cette force de mobilisation n’est pas
donnée une fois pour toutes, et il est probable que nous ne pourrons pas la
maintenir indéfiniment maintenant que du projet d’aéroport il n’est plus
question.

Parmi les fronts que cet abandon pousse sur le devant de la scène, il en est
un qui s’est durci : la bataille pour les terres. Sur les 300 hectares « du
mouvement », acquis de haute lutte en empêchant la chambre d’agriculture de
les redistribuer, la Préfecture nous fait savoir que nous pourrions signer
des baux précaires, si nous le souhaitions. En revanche, elle refuse d’en
entendre parler sur les terrains encore revendiqués par les « cumulards »
(les agriculteurs qui ont vendu leurs terres à Vinci et se sont généralement
agrandis). Une situation qui peut paraître paradoxale se dévoile alors :
toutes les fiches ont été considérées comme éligibles, sauf celles des
projets répondant le plus aux critères énoncés par l’État, car ils se situent
sur ces « terres conflictuelles ». Mais il n’y a pas là de hasard malheureux
: à la Noë Verte et à Saint-Jean-du-Tertre, l’installation de projets
agricoles dès 2013 s’était inscrite dans une stratégie d’occupation du
terrain contre Vinci et les cumulards. Nous devrons donc lutter pour que ces
terres n’aillent pas à l’agrandissement.

Ce rejet est sans doute une des causes du refus par la Préfecture d’une «
solution Larzac » et de la Convention d’Occupation Précaire collective
proposée par le mouvement. Certains analystes en ont conclu que le collectif
effrayait les dirigeants. Ce n’est pas tout à fait vrai, les structures
collectives existent, elles sont légales et parfois même glorifiées. Le
problème, à Notre-Dame-des-Landes, c’est que le collectif qui fourmille ici
n’est pas un simple agglomérat de personnes. C’est un commun qui a mis en
échec durant 50 ans les gouvernements successifs, un commun de résistance. Et
ouvrir la voie au commun, c’est pour la Préfecture ouvrir la voie aux
résistances.

Ce pour quoi l’on se bat

Mais elle fait fausse route en confondant la forme et le fond. Elle s’imagine
qu’une structure juridique individuelle va fatalement nous rendre
individualistes, par force ou par fatigue. Elle sait que dans les projets que
nous lui présentons, le récit s’adapte à ses demandes, mais pense qu’il va
devenir réalité à force de paperasses. Alors que ce que nous vivons sait bien
se jouer des administrations si par ailleurs le désir et les moyens de
communiser perdurent. Sauver les conditions de possibilité et d’accroissement
du commun qui est déjà là, voici donc l’enjeu véritable, au-delà du mode de
gestion des terres. Car la réapparition des flics et le processus des fiches
n’ont pas réduit au silence la base matérielle et spirituelle que constitue
la zone : le réseau de ravitaillement s’est encore rendu à Nantes ce
printemps, et ils n’ont pas su empêcher les postiers rennais en grève de
venir nous rendre visite. Ils ont dû regarder impuissants les grumes être
sciées près du « hangar de l’avenir » pour former la charpente du nouveau
Gourbi. Peut-être ont-ils aperçu, depuis leur hélicoptère, cette même
charpente se mouvoir dans le crépuscule, puis dans la nuit, entourée d’une
centaine de porteurs entonnant des airs de musique classique. Au matin, leur
tank l’a détruite de deux coups de lame avant qu’ils ne repartent en rang,
incapables pourtant d’effacer la magie et l’insolence de la veille. Nous
avons des armes qu’ils n’ont pas.

Ce commun-là est notre force, il est ce pour quoi nous nous battons ici, ce
pour quoi nous nous battrons encore très bientôt. Il est ce à quoi nous
devons être fidèles, quelle que soit notre situation administrative. Mais il
n’est rien sans un territoire. Il est aussi géographique qu’historique, ancré
dans ce bout de bocage jusqu’au bout des ongles. Il n’y a pas de commun en
soi sans les moyens de sa réalisation, sans les lieux d’organisation qui lui
donnent toute son amplitude. Ce commun-là ne se transporte pas plus ailleurs
que les animaux menacés qu’ils voulaient « déplacer ». Il appartient à ce
territoire-là, il est enfant de ce mouvement-là, il est son héritage autant
que son présent, en actes. C’est pour cela que nous luttons contre
l’anéantissement de la zad, parce que ce qui vit ici ne vivrait pas ailleurs.
Parce qu’il n’existe en France aucun autre endroit partagé réellement par
tout un mouvement de lutte, par des milliers de personnes ayant traversé
ensemble des batailles, des espoirs, des désillusions, et y ayant survécu.
Tant que cette lueur éclairera les talus et les fossés du bocage, nous
combattrons pour elle.

Ce combat se fera extrêmement concret dès le 15 mai, date annoncée d’une
nouvelle opération d’expulsions présentées de nouveau comme « partielles ».
Face au retour des pelleteuses, les cabinets préfectoraux espèrent que le
mouvement plonge dans des divisions aussi stupides qu’inintéressantes
politiquement entre ceux qui ont rempli le formulaire et ceux qui ne l’ont
pas fait. Nous refusons fermement ces dichotomies, et ils nous trouveront
derrière les barricades pour défendre la zad et tous ses lieux de vie."

Des habitant.e.s des lieux suivants : le Moulin de Rohanne, la Rolandière,
les 100 noms, la Hulotte, Saint-Jean-du-Tertre, les Fosses noires, la Baraka
et Nantes réunis dans le CMDO (Conseil Pour le Maintien des Occupations)

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  • [rue] Occupation vs lacrymaux, François Mary, 17/05/2018

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