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[rue] Libération


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  • Subject: [rue] Libération
  • Date: Sat, 20 Aug 2011 22:52:06 +0200


samedi 20 août 2011 à 00:00 - Édition Abonnés
Chaos salutaire à Aurillac

Festival . Dans le Cantal, les compagnies de théâtre de rue proposent un regard percutant sur la société.

PAR EDOUARD LAUNET

Tout de rose vêtue, Cendrillon surgit à un balcon de l’hôtel de ville d’Aurillac (Cantal) et hurle aux milliers de personnes qui l’acclament : «Je vous encule tous, fils de putes.» Trois malades, couchés dans des lits d’hôpital suspendus à une dizaine de mètres au-dessus du public, lancent des appels à l’insoumission voire à l’insurrection. Un roi assis sur un trône de WC accolé à la façade de l’hôtel de ville nous chie littéralement dessus. C’était, mercredi, Fuckin’ Cendrillon, le spectacle d’ouverture en tandem de Générik Vapeur et du Magma Performing Théâtre au Festival international de théâtre de rue. Mais cela pourrait tout aussi bien être une réunion politique en l’an 2020 si le monde continue d’aller comme il va, sans horizon et sans espoir de justice sociale.

Agitations. Le vrai lieu du politique n’est peut-être déjà plus dans la liturgie aseptisée des meetings mais dans les spectacles percutants que proposent les compagnies. On a assigné au théâtre de rue la mission de divertir en troublant un peu l’ordre public. Mais la rue désespérée, sinon hébétée, pousse les artistes à mettre dans leurs interventions plus que des pétards : de la dynamite.

Bienvenue, donc, au 26e festival cantalien, qui rassemble jusqu’à dimanche soir des centaines de troupes de rues et plusieurs dizaines de milliers de spectateurs : jeunesse désargentée, touristes et programmateurs en quête de spectacles. Ces derniers seraient bien avisés de retenir Silence encombrant, la nouvelle production de Kumulus, qui réussit cette chose incroyable : nous tenir en haleine pendant une heure et demie en proposant le spectacle a priori peu captivant de neuf zombies qui ne font que vider une benne à ordures sans dire un seul mot. La bande-son, c’est le bruit des déchets traînés sur le sol. C’est une symphonie de l’ordure, une chorégraphie du désespoir. Et si le spectacle émeut tant, c’est parce qu’il n’est pas difficile d’y voir une métaphore de nos vaines agitations dans une époque résignée. C’est un spectacle radical qui porte le théâtre de rue à ses limites et dont les perspectives commerciales ne sont sans doute pas brillantes.

Mais c’est un choix. Cette année, les membres de Kumulus ont puisé 25 000 euros dans leurs économies personnelles pour que chaque acteur (tous excellents) puisse garder un salaire stable. «Si je ne m’étais pas lancé dans le théâtre de rue, j’aurais été activiste, confie Barthélemy Bompard, l’âme de Kumulus. Je serais en train de foutre des bombes chez Bouygues et à l’Elysée.»

Fuckin’ Cendrillon est aussi une métaphore, quoique plus brutale. Ce texte de Nadine Prugnard, mis en images par Pierre Berthelot et Caty Avram, est un conte pour adultes écœurés par «ces temps de sexe et de fric». Il met en scène l’art, l’argent et l’amour. Evoque Céline, Onfray et Sartre. Se paie le luxe de faire sa propre théorie en s’interrogeant ici et là sur la pertinence de son projet. Et tout cela en à peine trente minutes.

Subversion. Comme à l’habitude, le lot de propositions aurillacoises est hétérogène, allant jusqu’à des performances fort contemporaines. A la gare, le compositeur Nicolas Frize présente Chaos à quai, une pièce pour locomotives, rame de TER, haut-parleurs et valises sonores. Le spectacle - quelque part entre le concert, la chorégraphie et l’installation - est diversement apprécié selon les publics mais, pour une fois, les trains arrivent à l’heure : magie des arts vivants !

De son côté, Porcopolis propose un tableau avec femmes, bébés, unijambiste et cochons vivants, dont l’intérêt nous a largement échappé. Passer de la diversion à la subversion, et du divertissement à l’investissement n’est certes pas l’objectif affiché du festival. «Mais parvenir à bien exprimer le désespoir, c’est déjà une manière de dire l’espoir»,estime Jean-Marie Songy, son directeur, qui préfère parler de «lieu de connexion sociale : la rue et ses spectacles peuvent nous donner de l’énergie pour rebondir dans le chaos contemporain». Il reste deux jours pour y puiser.

Festival international de théâtre de rue Aurillac (15). Jusqu’à dimanche soir.

Jacques livchine


  • [rue] Libération, jacqueslivchine, 20/08/2011

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