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[rue] Le programmateur


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  • From: Chtou < >
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  • Subject: [rue] Le programmateur
  • Date: Tue, 16 Jul 2013 00:40:25 +0200

Il s'appelle Gérard, il a 54 ans, et il est programmateur. 
C'est un mordu, un passionné des arts de la rue.
Regardez sa femme, qui se sert un petit blanc.
Elle en a du courage, pour l'écouter mitrailler le compte rendu de sa énième réunion bénévoles...
Combien de week-ends familiaux consacrés à ce foutu festival?
Même les enfants en ont tellement bouffé du théâtre de rue qu'ils s'en lassent.
Ils les ont traînés, leurs deux gars, sur les gradins en bois, avec leurs vacances calées sur Aurillac. 
C'est devenu une histoire de famille.
Ils ont même des amis artistes de rue qui passent à la maison de temps à autre, ho elle les adore...
Mais quand ils sont là, ils parlent... de théâtre de rue.

Heureusement qu'elle l'aime.
Elle le regarde, dépité, décoiffé, éreinté...

"Tu te rends compte?
Et pendant ce temps, sur la liste rue, il n'y a plus que cela... 
On se fait chier. Dixit Decoq.
Il reste Boueb, ha ben oui bravo, Boueb!
Boueb qui dit qu'il passe à Sotteville chercher des clients!
Des Clients, tu te rend compte?!!!"

Elle sait que cela, ça lui fait du mal, vraiment.
Elle compatit.
"Qu'est-ce que tu veux, c'est peut-être dû à leur précarité, les jeunes aujourd'hui désespèrent, ils sont désillusionnés..."

"Désillusionnés?!! Mais c'est pire que ça! Cyniques, oui!!!
Alors quoi, je suis un client moi? La culture pour moi c'est le supermarché? Non mais ils croient quoi, qu'on fait ça pour l'argent?
Ils croient que c'est riche, un programmateur?
Bon sang mais si je me casse le cul à longueur d'année de réunions en réunions avec les élus, à réparer les dérapages par mail entre mes bénévoles, avec les flics, avec madame Duchmoll et compagnie, ils croient que je fais ça par intérêt??
J'ai envie de leur crier arrêtez! Arrêtez de dresser de toutes pièces par votre défaitisme le monde grisâtre dans lequel vous vous plaignez d'être enfermés!!
Moi je crois à la Culture, je crois au Peuple, je crois au Partage, tu le sais toi chérie, si je programme une compagnie ce n'est pas pour toucher un salaire, non!
C'est un acte artistique!!
Et alors merde, si on y crois pas, au partage, si on n'y crois pas au rêve, on fait quoi là?
Bordel mais ce sont les artistes en premier lieu qui ne devraient Jamais tu m'entend, Jamais tenir ce genre de discours!!
On a envie quand on les invite nous, qu'ils nous apportent...

Ses yeux se mouillent... il est beau quand il est en colère. Elle pose sa main sur la sienne.

"Du rêve!!! Un autre monde! De la magie, des moments puissants, une échappée! 
Les artistes sont la raison d'être de tous ces combats qu'on  mène pour eux, et c'est parce qu'on veut qu'ils nous fassent vivre un beau monde, un ailleurs, on veut respirer autre chose!
Alors... des clients?!!! Mais c'est quoi, c'est de l'humour? C'est de l'insulte? C'est de la perversion?
Bordel mais ces artistes qui sont persuadés qu'au fond ils ne sont que des vendeurs, hé bien qu'ils restent de petits boutiquiers, moi je veux des utopistes, des rouges, des colorés je m'en fous, mais j'en veux qui font ce métier pour souffler sur la vie un air de liberté, de confiance, de différence! J'en veux qui s'en foutent de leur cachet, qui font ça comme nous, comme moi, par passion!!
Sa voix s'étrangle. 
Elle lui ressert un verre de merlot et reprend avec autorité.
"Calme toi mon chéri. Decoq a dit qu'il n'y avait pas que cela, il y a aussi les récits... de Jean Luc?"
"Jean Luc?
Sa voix s'est brisée. Mince, elle avait oublié qu'il ne pouvait pas le saquer.
"Mais celui-là il passe sa vie à pétaouchnok, avec sa bande de potes, à faire les cons sur trois cheval en bois!!! Et après il nous ruine à nous envoyer ses cartes postales du Kirdiz Boustan, tandis qu'on bataille à sauver les meubles ici! J'en ai rien à foutre moi que de ses colliers de fleurs!!"
"Non non pas Jean Luc heu je voulais dire heu... "
Elle cherche...
"Oui?"
Elle soupire. Il faut qu'elle le rattrape. Sereinement.
"Hé bien, après tout, on s'en fout mon chéri.
La vie, ça va, ça vient.
Les gens ne sont pas toujours disponible. Il y a surement derrière les annonces de covoiturages ou les pubs de compagnie une tripotée de gens merveilleux, mais qui se taisent. 
Pas parce qu'ils n'ont rien à dire. 
Mais parce qu'ils le disent autrement que sur une liste de diffusion. Dans la rue, déjà. 
De vieux artistes empreints de mêmes rêves que toi, qui n'ont jamais de vocabulaire mercantile, juste parce qu'ils parlent, qu'ils pensent comme des poètes. 
Des poètes, il y en a plein. Mais ils sont silencieux. Et l'arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse.
Et des jeunes aussi. Impressionnés par les vieux comme toi qui pourraient les lire, alors qui se taisent. 
Pourtant en eux, il y a des poitrines gonflées d'espoir, des coeurs battants et des envies d'enrichir le monde de ce qu'ils ont de plus beau, là, dans leur coeur. 
Des centaines d'artistes mon chéri. Pour des milliers de spectateurs, et d'éternels instants sous les étoiles. 
Des idées qui bougent, des vérités qui changent.
Rassures toi. C'est l'été, il fait beau, et cette année encore, on va rêver. J'en suis sûre. 
Les artistes seront là."

Il se tait. Il la dévisage.

Il l'aime.






Chtou







  • [rue] Le programmateur, Chtou, 16/07/2013

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