"Une marche d'escalier". C'est ainsi que le président du Medef voit
le salaire minimum en France. Le patron des patrons, Pierre Gattaz, a
donc mis cette semaine les pieds dans le plat et le feu aux poudres à
gauche, en proposant de raboter cette "marche": il suggère
l'instauration d'un sous-smic, dispositif "transitoire" et "temporaire" nécessaire à ses yeux pour relancer l'emploi en France.
Pascal Lamy avant lui
Une idée également défendue par l'ancien directeur de l'OMC, Pascal
Lamy, le plus social-libéral des socialistes. Ce chantre de la
flexibilité évoquait récemment les bienfaits potentiels pour l'économie
française de "boulots pas forcément payés au smic"… D'autres,
comme les économistes Elie Cohen, Philippe Aghion et Gilbert Cette,
préconisent une évolution du salaire minimum, pour le rendre plus
flexible et enrayer la "machine à chômeurs".
L'idée? Revenir sur l'acquis du salaire minimum (1 445 euros brut par
mois, soit 1 128 euros net, en 2014), un frein à l'embauche pour les
entreprises dans un contexte d'état d'urgence économique. Deux
catégories de la populations sont ciblées: les personnes les plus
éloignées de l'emploi et les jeunes.
Il vaut mieux quelqu'un qui travaille dans l'entreprise
avec un salaire un peu moins élevé que le smic, de façon temporaire et
transitoire, plutôt que de le laisser au chômage. (...) Avec un niveau
de chômage à 11%, cela fait partie des pistes à explorer",
déclare ainsi Pierre Gattaz, qui, rappelle habillement Hervé Le
Tellier du quotidien Le Monde, a peut-être une exérience biaisée à
propos de l'embauche des jeunes: Pierre Gattaz est patron du Medef,
comme son père Yvon avant lui et il est patron de l'entreprise Radiall,
également comme son père avant lui. Pour lui, pas d'escalier à gravir,
donc, il suffisait de prendre le plat passé par papa ...
"Une logique esclavagiste" pour Parisot
Reste que l'idée d'un Smic au rabais pour les Français jugés les
moins rentables (ou les plus susceptibles de l'accepter sans pouvoir la
contester), recueille peu de soutiens politiques. Si Jean-François Copé
considère sans surprise qu'un smic jeune a
du "sens",
à gauche et chez les syndicats, c'est la levée de bouclier. Même
Laurence Parisot, ex présidente du Medef, un brin provoc, n'a pas hésité
à dénoncer sur Twitter le projet de Gattaz-fils…
Le gouvernement a, pour sa part, rapidement fermé la porte à cette
mesure, par la voix de sa ministre de la Jeunesse et des Sports Najat
Vallaud-Belkacem:
Le smic jeunes, nous y sommes bien sûr fermement opposés.
Le sujet de l'emploi des jeunes mérite mieux que cela. Je verrai
prochainement Pierre Gattaz pour lui en parler".
La suggestion de Pierre Gattaz n'est pas vraiment nouvelle. Avant
lui, il y avait eu le Contrat première embauche (CPE) de Villepin en
2006 ou encore le Contrat d'insertion professionnelle (CIP) de Balladur
en 1994. Deux réformes tombées aux oubliettes.
Ailleurs en Europe aussi, certains ont tenté de mettre l'idée sur la table, avec toujours une même cible: les jeunes.
Grèce: "génération 440 euros"
Sur ce sujet, une fois encore, la Grèce est le laboratoire de
l'Europe. Dès février 2012, les parlementaires ont voté une loi baissant
drastiquement le salaire minimum des moins de 25 ans. Les "génération
700 euros", puis "génération 440 euros" net ont finalement laissé place à
la génération rémunérée… au niveau du montant de l’allocation chômage à
laquelle ils avaient droit.
Le Smic a, en effet, été grignoté de 22% (passant de 751 à 586 euros
brut, soit 487 euros net), assorti d'une diminution complémentaire de
10% prévue pour les jeunes de moins de 25 ans). Cette décision a été
justifiée par le taux de chômage des jeunes (près de 60 %), deux fois
plus élevé que celui des autres générations. Une décision pourtant
d’autant plus injuste que les jeunes Grecs sont hautement qualifiés,
diplômés et qu'ils maîtrisent souvent plusieurs langues étrangères. La
réalité dépasse d'ailleurs souvent la dureté d'un salaire réduit:
nombreux sont les emplois jeunes sans protection sociale ou au noir,
tandis que les retards de paiement des salaires sont courants.
Mais le pire est à venir: le KEDE, un organisme d’études proche des
milieux gouvernementaux, vient de proposer que les entreprises prennent
durant un an les jeunes à l’essai sans salaire, pour s’assurer, avant
une éventuelle embauche, de leur compétitivité !
Allemagne: Smic ou pas Smic pour les plus jeunes ?
L’Allemagne est justement en train de se doter d’un salaire minimal
généralisé et la question des exemptions fait débat. Les plus jeunes y
auront-ils droit? La ministre du travail sociale-démocrate, Andrea
Nahles, a présenté le 2 avril son projet durement négocié avec les
membres conservateurs de la coalition. Ce texte prévoit une rémunération
de 8,50€ brut de l’heure pour tous les secteurs d’activité et trois
exceptions:
-
Les chômeurs de longue durée qui retrouvent un emploi pourront être
rémunérés en dessous de ce smic horaire durant les six premiers mois de
leur contrat.
-
Les mineurs pourront être rémunérés en dessous de cette barre
symbolique des 8,50€. Le but de la ministre du travail Andrea Nahles est
d’inciter les jeunes à poursuivre leurs études et leurs formations au
lieu d’entrer trop tôt sur le marché du travail.
-
Les stages de moins de 6 semaines échappent au Smic. En revanche,
passées 6 semaines, les étudiants et apprentis recevront les 8,50€ de
l’heure règlementaires.
Les représentants du patronat allemand estiment que ces exceptions
sont insuffisantes. Ils militaient notamment pour une exemption du Smic
concernant les jeunes de moins de 21 ans et l’ensemble des stagiaires.
Royaume-Uni: jusqu'à 40% de moins
Depuis l’instauration du salaire minimum par le gouvernement de Tony
Blair en 1999, une différenciation entre jeunes et adultes a été mise en
place. Le salaire horaire minimum est actuellement de 3,72£ (4,39
euros) pour les 16-17 ans, 5,03£ (5,93 euros) pour les 18-20 ans et
6,31£ (7,44 euros) pour les autres. Un jeune de moins de 18 ans peut
donc être rémunéré 41% de moins qu’un adulte de plus de 20 ans pour le
même emploi. Le taux pour les 16-17 ans a été mis en place en 2004: le
gouvernement s'est aperçu que de nombreux jeunes de cette classe d’âge
étaient exploités par leurs employeurs.
La principale polémique a eu lieu en 2012 lorsque, pour la première
fois depuis leur création, ces deux taux "juniors" ont été gelés. La
Commission des bas salaires (Low Pay Commission), décisionnaire en la
matière, avait en effet estimé que les relever en cette période de crise
provoquerait une forte hausse du chômage des jeunes.
Une enquête
publiée un mois plus tôt sur les années 2008-2010 était pourtant
formelle: le salaire minimum des jeunes n’avait pas influé sur le nombre
d’emplois, mais plutôt sur les revenus: une hausse de 3% des taux
juniors avait entraîné une réduction d’environ 10% des heures
travaillées, ce qui s’était traduit par une perte d’environ 7% des
revenus.
Espagne: les patrons font pression
Le CEOE (équivalent du Medef français) a proposé le mois dernier au
gouvernement espagnol de baisser le salaire minimum pour les jeunes.
Selon Joan Rosell, président du patronat, cette mesure doit "aider" les
chômeurs de moins de 25 ans à trouver du travail.
Les syndicats se sont opposés en bloc à cette mesure et considèrent
qu’elle ne ferait qu’accentuer l’appauvrissement des secteurs les plus
défavorisés. En outre, ils ont rappelé un principe:
En Espagne, il est inconstitutionnel d’établir, en fonction de l’âge, des différences de salaire".
Pour le moment, aucun projet de loi n'a été officiellement présenté.
Il faut savoir qu’actuellement le chômage touche plus de 53% des moins
de 25 ans. De plus, les stages (peu ou pas rémunérés pour la plupart)
constituent plus de 40 % des nouvelles créations d’emplois en Espagne et
aident déjà le gouvernement à se vanter d’une reprise fragile. Quant à
ceux qui trouvent un emploi aujourd'hui en Espagne, ce n'est pas la
joie:
la moitié des offres d'emploi publiées propose un salaire de 1.000 euros ou moins.
Avec un SMIC à 645 euros et plus d’un tiers de jeunes chômeurs
diplômés de l’enseignement supérieur, les Espagnols ont eux trouvé, non
sans ironie, une solution:
En Espagne, pour trouver un emploi, tu as trois débouchés: par la mer, par la route ou par les airs".