Paris, le 8
juillet 2014
Témoignage
d’une fin de résidence brutale et
non
démocratique en Ile de France
Par Léa Dant, directrice artistique de la
Compagnie Théâtre du voyage intérieur
Je prends
rarement la parole publiquement, car cela veut dire s’exposer, à des critiques
parfois si agressives que cela n’en vaut pas la chandelle. Je ne suis pas douée
de réthorique comme certains et je préfère en général m’exposer à travers mes
spectacles. Mais là je ne peux pas me taire, alors je vais le faire avec des
mots simples. Je ne peux pas me taire, il me semble nécessaire de témoigner de
quelque chose que j’estime grave, qui vient de se passer pour ma Compagnie.
Le Théâtre du voyage intérieur, compagnie
parisienne que j’ai créée en 1999, a posé ses valises pour une résidence
d’implantation triennale dans la commune d’Eaubonne (95) depuis 2009. J’étais
mue par un désir profond de mener un travail de long cours sur un territoire. J’avais
pu avoir un avant-goût de cela quand ma Compagnie a été associée à l’Atelier 231, Centre National des Arts
de la Rue de Sotteville-lès-Rouen, pendant une saison (2003-04).
Après cette
expérience j’ai souhaiter aller plus loin et devenir artiste dans une cité, y
apporter un regard sur ce qui s’y vivait : un regard sensible, humain, révélant
l’intime, dans une démarche tant citoyenne qu’artistique. A mon modeste niveau
cela signifiait contribuer à faire bouger les consciences, à ouvrir des
espaces-temps d’_expression_, de dialogue, créer la rencontre, éveiller
l’empathie entre habitants et me faire révélateur des émotions de personnes
vivant dans sur un territoire donné.
Ce
dispositif de résidence d’implantation, en totale adéquation avec ce désir,
nous avait été suggérée par notre conseillère DRAC, Edith Rappoport, dès 2005.
Une aubaine
en plus pour une compagnie parisienne, qui n’avait ni bureau, ni lieu à elle et
qui fonctionnait au projet depuis 9 ans déjà. La mise en oeuvre de la residence
a été grandement rendue possible par Julien Rosemberg - travaillant alors à l’ADIAM 95, désormais directeur d’Hors les Murs - qui dans son rôle de
mise en relation d’acteurs culturels du territoire nous a permis de faire la
bonne rencontre : nous étions en parfaite adéquation avec le désir d’accueil
d’une Compagnie que souhaitait la ville d’Eaubonne, dans le Val d’Oise, commune
particulièrement proche de ses habitants.
Le maillage
financier et institutionnel d’une telle résidence est quadripartite : ville
(qui est pilote en quelque sorte), état (DRAC), région (ici le Festival Théâtral du Val d’Oise) et
département (CG95). Le principe est que chaque partenaire apporte un quart de
la subvention. En Ile de France cela représente environ 23000 euros par
partenaire. La Compagnie elle, a un cahier des charges précis : un travail artistique
à l’échelle locale et dans le même temps le développement de ses créations à
une échelle nationale.
La
subvention sert aux deux.
En ce qui
nous concerne, cette dernière dynamique, nationale, a été difficile pour moi
personnellement à tenir, tant je me suis investie dans la dynamique locale,
créant ainsi sept spectacles en cinq ans de résidence, entre 2009 et fin 2013.
5 ans oui,
car le bilan de la première résidence a été tellement positif, que celle-ci a
été reconduite une seconde fois.
L’énergie
que m’ont demandé ces sept créations
m’ont éloignées d’un réseau plus vaste, national, qui m’avait pourtant
accueilli et soutenu pour dans mon développement d’artiste dès mes débuts. J’ai
quand même réussi dans les 5 ans à faire trois créations au-delà d’Eaubonne,
dont une au Brésil. 10 spectacles en 5 ans, nous n’avons pas chômés.
Mais ma
priorité a été cette résidence, une aventure magnifique, dans la rencontre avec
les eaubonnais, y compris les élus, les directions de services de la mairie, et
avec les comédiens qui m’ont entourée et auxquels j’ai été fidèle tout le temps
de la résidence. Certains d’entre eux des comédiens de longue date de théâtre
de rue comme Marie-Pascale Grenier (Cies Kumulus,
Entre Chien et Loup) et Frank Baruk (Cies
Kumulus, Bonheur Intérieur Brut) et Isabelle Saudubray (Cie Lakaal Dukrick), je dois aussi citer
Estelle Kerkor, Magali Serra et Laurent Savalle comédiens avec lesquels j’ai
fait équipe. Ça a été une aventure magnifique : humaine, citoyenne et
artistique, qui marque une vie à jamais.
Une
résidence d’implantation comme celle-ci qui dure 5 ans se sont des centaines de
rencontres, car nous avons créés des spectacles, les “Théâtre-miroir” à partir de la parole des habitants, pour eux, et
jouées chez eux, dans la rue. Du sur-mesure.
J’ai rencontré
des adolescents, des personnes très âgées, des parents d’enfants handicapés,
des soignants de personnes âgées, des enfants de tous âges, des directeurs de
services cherchant comment proposer des actions de proximité aux habitants, des
élus curieux et désireux d’un vivre ensemble, des profs dynamiques, des
personnes en souffrance, qui venaient de perdre des proches, des SDF, des mères
de familles de six enfants… et des dizaines d’autres, des humains, tout
simplement, qui m’ont fait part de leur vie, qui l’ont donnée en témoignage
pour être partagé par tous.
Cela a
suscité le débat, a permis la réflexion mise en commun et a eu pour certains
cet effet que je recherchais : l’empathie. La capacité de rejoindre l’autre
dans sa différence. D’être touché par l’autre face à soi.
Puis en
mars dernier, un nouveau maire, Grégoire Dublineau, de droite, a été élu.
Apparement un vote de contestation du gouvernement Hollande, aux dires de certains
euabonnais.
Il restait
9 mois de notre résidence d’implantation, qui devait se terminer par un bouquet
final, une rétrospective des créations faites pour Eaubonne, plébiscitée par
les habitants et une soirée de fête et d’adieux.
Mais ce
monsieur en a décidé autrement. Il a souhaité mettre fin à la résidence dès son
élection (et le vote des budgets en avril pour être précise).
Nous n’en
avons étés informés formellement seulement la semaine dernière, le 1er juillet,
par son élue à la culture, qui pourtant avait suivi la majeure partie des
actions de la Compagnie dans sa ville et nous soutenait (semblait-il).
J’avais
sollicité un rendez-vous pour la rencontrer juste après les élections, dès le
1er avril.
Ce
rendez-vous a finalement eu lieu en juillet, suivi quelques jours plus tard
d’un Comité de suivi en présence du maire et de tous les partenaires
d’implantation : DRAC, Conseil Général, Festival Théâtral du Val d’Oise et en
notre présence.
Ce qui
s’est passé lors de ce Comité de suivi, nous a tous laissés littéralement
estomaqués.
Ce
monsieur, plutôt que de simplement faire part de son désintérêt pour le travail
que mène ma Compagnie, a entrepris stratégiquement et méthodiquement de nous
mettre en défaut et de nous démolir point après point.
Il nous a été
reproché :
-De ne pas
avoir demandé de rendez-vous avec la nouvelle élue :
Faux, j’ai
fait un mail au DAC (directeur des affaires culturelles) le 1er avril 2014.
-De ne pas
être venus présenter notre association et connaître ses orientations en termes
de politique culturelle lorsqu’il faisait campagne, ni d’être venus à l’un des
meetings de son parti, comme toutes les autres associations de la ville :
Faux, j’ai
parlé avec quelqu’un de l’opposition hier qui fait partie du bureau d’une des
plus importantes associations de la ville, qui m’a affirmée que les
associations eaubonnaises n’avaient pas toutes fait une démarche pareille, loin
de là, en tous cas, pas la leur.
De plus, ce
n’était pas notre rôle, nous ne sommes pas une association Eaubonnaise d’une
part, d’autre part nous n’avions pas à convaincre étant dans le cadre de
résidence déjà actée.
-De ne pas
avoir travaillés (oui en ces termes exacts), car nous ne proposions pas une
nouvelle creation en 2014 :
Faux, nous
avions prévus une retrospective de trois spectacles, cela représente au
contraire beaucoup de travail.
-De ne pas
avoir un taux de notoriété suffisamment important :
je reste
sans voix.
Oui en
effet, nous ne passons pas sur TF1, par contre, nous sommes programmés dans le
Festival International de Théâtre de rue d’Aurillac cet été, dans le IN. Pour
23000 euros annuels, obtenir une star connue du grand public me paraît assez
improbable. De plus, et cela va sans dire, notoriété n’est pas nécessairement
gage de qualité.
Lorsque
l’un des partenaires institutionnels présents autour de la table à fait part à
ce maire des conséquences de ses choix, à savoir notamment “des êtres humains qui ont des familles et
vont perdre leur emploi” (et leur intermittence pour certains mais ça n’a
pas été formulé). Ce maire a eu le toupet de riposter de la sorte :
“Je vous invite tous autant que vous êtes
autour de cette table à prendre ma place de maire et vous verrez ce que ça veut
dire que de faire des choix. En effet, quand nous avons 600 demandes de
logements sociaux et que l’on ne peut en accorder seulement deux, on sait qu’on
met 598 familles à la rue”.
J’ai sû
hier, toujours en parlant à l’opposition, que les projets de logements sociaux
mis en oeuvre sous la précédente municipalité étaient entrain d’être démantelés
par cette nouvelle équipe en place.
Du
mensonge, du mensonge et encore du mensonge. Nous avons étés face à des
personnes usant d’une stratégie odieuse qui consiste à écraser le plus faible
(en l’occurrence nous, Compagnie de théâtre de rue) à force d’arguments
mensongers et de rhétorique manipulatrice.
Devant des
institutionnels totalement impuissants car rappelant un cadre moral en
l’occurrence bafoué. Nous ne pouvons même pas attaquer la ville en justice car
la convention avec la ville était bi-partite : Compagnie-ville, comme elle
l’était avec chacun des partenaires, dans le but d’alléger le cadre
conventionnel global.
Je ne peux
qualifier de tels agissement que de déspotiques. Cet élu s’est montré
totalement fermé au dialogue, ce que les représentants de la DRAC n’ont pas
manqués de lui rappeler. En effet, depuis les élections municipales, la DRAC
Ile de France s’est déplacée dans de nombreuses communes où il y avait ce type
de crise suite aux changements d’équipes.
La DRAC
nous a affirmé qu’à chaque rencontre, le dialogue avait pu être renoué et des
solutions trouvées afin que les projets en cours - y compris des chantiers et
communes très importantes comme Bobigny -
puisse aboutir comme prévu.
Cette
ville, Eaubonne, est la seule commune en Ile de France a avoir refusé tout
dialogue et à être restée sur ses positions.
Alors je
m’interroge. Je m’interroge profondément sur l’état actuel de la politique et
du vivre ensemble dans ce pays. Ce type d’agissements est il possible en
démocratie?
Il me
semble pour ma part, m’être trouvée face à un monarque agissant en toute
impunité face à des institutions sans réel pouvoir d’action.
Quelle
place la culture a-t’elle aujourd’hui dans ce pays? Réellement?
Nous
souffrons en tant qu’intermittents, d’un état qui bafoue ses promesses
électorales, ce qui nous laisse pour beaucoup, individuellement, dans une
grande inquiétude.
Nous
souffrons, collectivement, de voir détruites nos actions citoyennes, comme en
l’occurrence ce qui se passe actuellement pour ma Compagnie, qui après avoir
tant investi ne peux pas même dire au revoir aux habitants d’un territoire qui
ont sû lui être fidèle.
Ce qui est
certain, c’est qu’en sortant de ce Comité de suivi avec ce maire, tous autant
que nous étions : directeurs de théâtre, directeur des affaires culturelles,
conseillers DRAC, conseillers théâtre, administrateurs et directrice artistique
d’une Compagnie, nous étions estomaqués et nous avons eus besoin de parler une
demie-heure ensemble sur un bout de trottoir.
Je pense
que nous nous sommes tous interrogés sur ce qui venait d’avoir eu lieu, que
nous nous sommes tous interrogés sur nos manquements, nos erreurs dans cette
situation et aussi quel pouvait bien être le sens profond de tout cela, d’une
si grande incommunicabilité…
Mais ça
doit être la difference entre la démocratie et la dictature : nous nous sommes
interrogés… et eux, honnêtement, je ne pense pas.
Léa Dant
Auteure,
metteure en scène
Directrice
artistique de la Compagnie Théâtre du voyage intérieur