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[rue] un article que je viens de découper dans Le monde


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  • Date: Fri, 14 Oct 2016 18:22:54 +0200

19 Lettre et chronique

Arts de la rue et défi sécuritaire


C'est un homme amer, qui voit son rêve culturel vaciller. Jean-Marc Songy est directeur du festival d'Aurillac, un rendez-vous phare des arts de la rue, au coeur du mois d'août. Et ce qu'il ressent traduit le désarroi de milliers de personnes, qui, depuis trente ans, font vivre la création dans l'espace public. Théâtre, danse, cirque, parades, chars, défilés... Le carnage en plein feu d'artifice du 14-Juillet à Nice a transformé le macadam joyeux en mare de sang. Depuis, le terrain de jeu des artistes est anxiogène. Et c'est aujourd'hui, pendant la saison froide, que Jean-Marc Songy et ses confrères doivent trancher une question : comment protéger les manifestations et festivals à venir ? Comment sauver cet art populaire et gratuit, qui dépend donc des subventions de la cité et de ses édiles ?
Un mois après Nice, Aurillac a eu lieu mais Jean-Marc Songy en est sorti meurtri. Aurillac est le festival phare, il ne fallait pas renoncer. " C'était exceptionnel, on a travaillé ensemble dans l'urgence, avec la ville, les artistes, les bénévoles. " Aurillac, c'est 600 compagnies, 3 000 artistes, une ville qui émerveille les familles le jour, et laisse s'exprimer des oiseaux isolés la nuit. Pendant quatre jours.Aurillac a eu lieu, mais " le boomerang fut violent ", dit le directeur, et le prix à payer trop élevé. 
Le prix ? Un climat sécuritaire, dit-il, qui l'a choqué. Les barrières partout, des checkpoints, les fouilles en permanen-ce, des vigiles qui font vider les bouteilles d'eau. " Je ne veux pas revivre ça. C'est une rupture éthique par rapport à notre histoire. " Il lâche : " Ça m'a blessé, j'ai eu envie de chialer. " Il va plus loin. " Avec ce climat sécuritaire, on a créé une tension. " Ce type de festivals attire des marginaux, ce qu'il appelle une génération en vadrouille. " On a cherché le djihadiste, on a attiré le zadiste. " Il est marqué par les paroles d'un habitant d'un des vingt villages du Cantal où le festival d'Aurillac a essaimé : " Qu'on nous demande de barrer les rues avec nos tracteurs, ça va. Mais fouiller les gens ? Je vais fouiller ma voisine ? "
Double peine
Et puisc'est double peine. L'été dernier, la sécurité amplifiée a coûté 250 000  euros à Aurillac, à la charge du festival. Il y a bien eu un fonds de soutien du ministère de la culture, mais comment cela va-t-il se passer en 2017 ? " Deux cent cinquante mille euros, c'est ce que je donne en cachets aux artistes. "Dans certains endroits, on invoque une " participation citoyenne ", un appel à la population pour assurer la sécurité. " Des milices ", dit Jean-Marc Songy, qui évoque aussi les manifestations annulées après Nice, d'autres tronquées. A Strasbourg, Toulon, Mulhouse, Libourne, Paris... 
Jean-Marc Songy a eu envie de chialer car, en trente ans, il a vu grandir le théâtre de rue, avec des élus qui jouent le jeu, où les saltimbanques trouvaient leur place dans un espace détendu. " Royal de Luxe, Chalon, Aurillac, Sotteville et bien d'autres ont pu s'exprimer grâce à ce climat positif. La Nuit blanche à Paris, aussi. "
La question est de savoir jusqu'où accepter la sécurité sans que cet art ne perde son sens. C'est vrai surtout pour les plus grands festivals, à Aurillac notamment, où 120 000 personnes se réunissent. " Ce qu'on nous demande est incompatible avec ce qu'on fait. " Alors il dit l'enjeu : " Soit on dit qu'on est fort et on continue dans l'esprit qu'on a créé. Soit on fait de l'autocensure, on limite la circulation des artistes et des personnes, on réduit le périmètre, on évite le centre-ville, certaines rues, avec plein de contrôles, des barrières partout, et mieux vaut arrêter. "
Comment faire en sorte que la sécurité permette l'acte artistique sans le modifier ? Le risque, c'est de transformer la rue en parc à artistes. Déserter l'urbain pour la salle, la rue pour la cour. Supprimer les formes les plus audacieuses. C'est le défilé de la Biennale de la danse, qui a lieu depuis vingt ans dans les rues de Lyon, et qui a été déplacé en septembre dans le stade de Gerland. " Une catastrophe ", dit Lucile Rimbert, présidente de la Fédération nationale des arts de la rue, qui dénonce par ailleurs " un climat tout sécuritaire ".
Ces questions sont au coeur des auditions que mène en ce moment le préfet Hubert Weigel, à la demande des ministères de la culture et de l'intérieur, pour assurer la sécurité des festivals de l'été 2017. Ses recommandations sont attendues pour la fin février. Il dit déjà : " C'est la sécurité qui peut garantir la liberté d'_expression_. " De son côté, Jean-Marc Songy n'a plus vraiment envie de " discuter avec les poseurs de barrières ", et ne se voit pas aller plus loin, pour son festival, que le blocage des voitures et des camions.
Les débats risquent d'être chauds. Car Jean-Marc Songy sait que nombre de confrères le trouvent trop radical, que le public accepte les contraintes, beaucoup d'artistes aussi. Il sait qu'Aurillac est une vitrine riche qui fait travailler 200 personnes pendant le festival, mais que derrière, il y a 1 200 compagnies, souvent précaires. Pour beaucoup, arrêter, c'est arrêter de vivre. D'autant que cette crise survient dans un climat de baisse des subventions par des villes paupérisées, et un Etat qui soutient plus le -secteur par des labels et des opérations spéciales que par l'argent, préférant depuis longtemps les théâtres en dur que cet art de l'éphémère.
Une Marianne de fer de 7 mètres de haut va aller de ville en ville, du 15 au 29  octobre, dans le cadre de la Journée internationale des arts de la rue. Passer d'une journée à huit, dans huit villes, il faut au moins ça, dit Jean-Marc Songy, pour sauver un art du récit collectif, un art de l'instabilité, la possibilité de prendre les sens interdits, les chemins de traverse. La possibilité de vivre autrement la ville.
par Michel Guerrin

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