Jamais tu ne m’entendras dire : t’as tout raté, t’aurais du être là.
Parce qu’on est pareil et pas pareil
Pareil, on a à peu près le même genre de pieds, et puis tous des nez,
Les crânes ça change,
T’as le frère qui a la boule à zéro comme on dit, l’autre une forêt épaisse toute blanche,
Plus tard on parlera de l’ère des frères Prévost.
Et puis il y a celles et ceux qui placent Joker au dessus de tout, et les autres qui ne comprennent pas cet engouement.
Il semblerait cependant que dans le domaine des arts de la rue, un fil invisible nous unit que personne n’a bien réussir à définir.
Ça a sans doute à voir avec la notion d’ego et de carrière, de collectif et un amour des gens.
Première impression quand je passe le porche du Grand Savoye : impressionnante table de livres, et on s’affaire autour.
Et puis on entre dans la salle de la plénière, premier réflexe : qui est venu ? et je connais qui ?
Je ne connais plus grand monde, dis donc, je me rapproche des anciens pour ne pas être trop seul,
Maintenant on ne dit même plus les anciens, mais les historiques …
Brigitte Burdin de Transsexpress, Serge Calvier de Nil admirari, Jean Marie Songy du Palc maintenant
Ancien de la FAIAR , Alix M.
Et des nouvelles têtes par dizaines, beaucoup de femmes, une mauvaise langue me glisse : les chargées de diff, pas trop d’artistes, et alors ?
Lucile Chesnais de Besançon et de la Fédé me répète à l’encan : six mois de bénévolat pour ces deux jours, c’est la dernière fois.
Et les CNAR ?
La veille on a dîné à une quarantaine dans la pizzeria Calvi de la rue Stanislas, un bruit épouvantable, des pizzas bourratives.
Lucile Malapert est triste, déboussolée. Elle ne sait même plus où elle habite. On décide ensemble de se pencher sur nos certitudes. Le soir je lui envoie mes 14 certitudes.
Nancy, années 70 un formidable festival, à l’époque zéro théâtre de rue, ça n’existait pas mais des découvertes sans précédent : Pina Bausch, Kantor
Regarde, dis- je à Edith : on garait notre 2CV fourgonnette, là à l’entrée du parc au coin de la place Stanislas on dormait dedans .
Jack Lang avait trente ans, il jouait dans le mariage improvisé d’Henri Monnier
Alors cette UB, t’en as pensé quoi ? C’était comment ?
Il y a eu une prof d’économie, Florence, qui nous a fait un PowerPoint sur l’évaluation, j’ai juste compris que nous sommes dans une société où tout s’évalue, et que c’est le moment
d’appliquer ses lois. Comme je n’ai rien compris, je m’en remets à Alix M qui a levé la main : Madame, Madame on me dit sans arrêt que je ne suis pas rentable.
Eh bien cette prof chevronnée ne savait absolument pas répondre, elle savait tout , mais en évaluation de l’immatériel, elle était bien nulle.
On remplit des tableaux Excel pour nos tutelles, avec du quantitatif, nombre de contrats de cession, combien de spectateurs, divisez le nombre de comédiens par le nombre de spectateurs,
multipliez par le numéro de votre département, divisez par le nombre de jours actifs, et vous aurez l’indice du point de retraite.
C’est un point capital, l’évaluation, je voulais raconter l’histoire du capitaine des pompiers de St Quentin en Yvelines qui lors d’un arbitrage sur la création d’un poste dans l’agglomération
s’était exclamé : donnez le poste à l’Unité, nous, nous ramassons les jeunes suicidés dans le hall des immeubles, eux empêchent les jeunes de se suicider.
Je n’ai pas osé.
Alors cette UB ? Tu l’évalues comment ?
Je n’ai jamais décroché, juste une dizaine de minutes en deux jours où je me suis assoupi devant un PowerPoint.
D’habitude je dors quasiment ans arrêt tant les interventions sont absconses.
Là , pas du tout , la nourriture était légère, j’étais attentif et curieux.
C’était une UB très politique
En fait on a très peu parlé de théâtre, de budget, d’argent, de moyens, très peu, mais on a parlé de la société.
Mais oui, cela devient un lieu commun de dire que la société est devenue autoritaire, qu’il y a des interdictions, des murs , des barrières, mais en fait, en vrai, on peut tout détourner,
contourner. Il y a eu une table ronde bien comique, celle où un par un, chacun évoquait comment il gruge, comment il ment, comment il truque, comment il détourne toutes les lois.
Mais oui, il faut être malin, j’apprends qu’une association n’a absolument pas besoin de président , de trésorier, de secrétaire et tout ce qui s’ensuit et que pour l’emploi des intermittents
il faut télécharger un guide sur Opale qui vous dira tout.
Et puis on a appris comment fonctionnait le lieu Mémo dans le quel nous nous nous trouvons. Un lieu incroyable. Une gouvernance sans hiérarchie, un climat de liberté tranquille, des gens
qui sont dans le « faire ». Jamais de longues réunions interminables. En trois semaines ils ont fabriqué un chapiteau en dur. Un CDI en tout, Eva, au calme inébranlable, une économie de guerre, des copains par centaines,
Quand j’y ai joué il y a deux ans je cherchais le chef. Pas de chef, notre vieille utopie franc-comtoise : nous sommes tous chefs.
Ce qui compte pour moi c’est que je reparte un peu plus riche que lorsque j’y suis entré.
Et là c’était fou, on n’était pas dans la plainte , ou la désespérance, mais on faisait le plein d’énergie pour deux ans au moins.
Il y avait le climat que j’aime : sérieux sans se prendre au sérieux,
Lorédana dans ses tenues incroyables assumait les transitions et Jean Luc Prévost était un maître de cérémonie léger
Et là Jean Louis Laville a été magistral, et a répondu clairement à des questions qui me passionnent.
Il a redonné ses lettres de noblesse à l’associationnisme. Il a exprimé ce que depuis des années je n’arrive pas à bien dire.
La force gigantesque de tous ces petits lieux alternatifs, de toutes ces initiatives dont la France est couverte, de tous ces lieux, ces abris, où ne s’applique pas la loi du profit.
Eh bien mine de rien, il y a 1 700 000 associations en France qui créent hors système capitaliste une richesse incroyable.
Ces associations sont évidemment méprisées, et vivent dans l’invisibilité.
Il nous a demandé d’éviter les attitudes trop pures, qui peuvent devenir dangereuses, oui à l’impur a t-il dit.
Et puis une de nos tâches : nous rendre visibles. Et le philosophe nomade Luc Carton nous a fait une synthèse étonnante ,
Il nous a démontré que pour la première fois depuis 1789, nous sommes en train de changer d’époque, et j’ai tout noté dans un carnet que j’ai perdu, mais je résume de mémoire : dans
le changements qui sont en train de produire, les arts de la rue joueront un rôle moteur.
Manon Dumont a tout noté sur son ordi et Loredana a enregistré, il nous faudra ce texte comme manifeste.
En résumé, moi personnellement, j’ai fait le plein d’idées et d’énergie ce qui est tout de même la raison d’être d’une Université Buissonnière
Et le lendemain j’ai assisté à un spectacle sidérant de Mila Rau, de quoi combler tous mes manques.
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