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Re: [rue] Enfin une parole dissidente, c’est pas moi qui parle c’est Jerome Favre


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  • Subject: Re: [rue] Enfin une parole dissidente, c’est pas moi qui parle c’est Jerome Favre
  • Date: Tue, 19 Jan 2021 16:04:59 +0100
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Le mar. 19 janv. 2021 à 07:49, Livchine < "> > a écrit :

Alors que les théâtres sont fermés depuis on ne sait même plus trop quand, et qu’ils ne réouvriront semble-t-il qu’après les pistes de ski, Jérôme Favre appelle, plutôt qu’à quémander, à assumer le caractère inutile de la pratique théâtrale. Et l’invite à renouer avec son caractère dangereux. Si cela requiert une transformation : « Faisons-le dans des églises en ruine, jouons-le dans des hangars abandonnés, des salles des fêtes humides, sur des gradins de paille, derrière des coulisses de carton... »

Nous devons cesser de revendiquer notre utilité économique ou notre utilité sociale. Nous ne servons et ne devons servir à rien. Cet argument nous enferme dans une conformité aveugle à l’ordre rationnel, à l’ordre économique, à l’ordre libéral. Revendiquons le désordre. Revendiquons d’être improductifs.

NOUS SOMMES INUTILES ET C’EST CELA QUI EST BEAU. QUI EST BIEN.

Nous sommes des lieux d’imagination, d’invention et de pensée, de transmission et d’éducation. D’accord. 
Des espaces où déployer des fictions, raconter des histoires, et ces histoires font partie du réel, fabriquent des mondes dans le monde, l’augmentent et l’étirent à notre façon – et nous nous lovons dedans, nous y trouvons des parties indomptées de nous-mêmes.

Mais nous sommes aussi des lieux de transgression et de révolte, des lieux de renversement, de colères, de débats et de désaccords.
Des espaces de fête, de rire, de cris, de corps.
Nous postillonnons, nous crachons, nous hurlons, nous buvons dans des verres sales. Nous nous trainons par terre, nous nous embrassons, nous nous léchons, nous nous mettons nu.e.s.
Nous sommes des lieux de commun, de collectif, de communauté.

C’est tout cela le théâtre, tout cela à la fois. C’est pour tout cela que nous le pratiquons, pour tout cela que nous nous y rendons. 
C’est aussi comme cela que nous vivons et que nous travaillons, dans ce mélange unique de sérieux et de dérision, d’oppositions féroces et de fraternités sublimes, de joie profonde et d’inquiétude irrémédiable. 
C’est unique. Et c’est cela dont nous sommes privé.e.s. 
Ce n’est ni essentiel ni utile à qui que ce soit, à quoi que ce soit. 
C’est juste rare et à contre courant de tout.

C’est un endroit perdu, qui ne ressemble à rien. Tout le monde est invité, même si peu sont ceux / celles qui s’y rendent. Mais peu nous importe. Peu m’importe. C’est juste à nous. Et il n’y a aucune raison qu’on nous le prenne.

NOUS N’AVONS À NOUS SOUMETTRE À AUCUN ORDRE, 
NI SÉCURITAIRE, NI SANITAIRE. 
NOUS DEVONS JOUER SI NOUS LE VOULONS, CESSER DE SUPPLIER QU’ON NOUS LAISSE OUVRIR, D’ARGUER DE NOTRE RESPECT DES RÈGLES OU DE L’ABSENCE DE RISQUE. AU CONTRAIRE. NOUS SOMMES PEUT-ÊTRE EN FACE D’UNE CHANCE UNIQUE : CELLE DE REFAIRE DU THÉÂTRE UN LIEU DE RISQUE.

Pour ne plus aller au théâtre comme on va au club de gym, comme on se rend visite, une occupation parmi d’autres. Le théâtre n’est – ni ne doit être – un loisir ou une activité économique, il n’est pas un morceau du programme de l’éducation nationale. Il n’est pas un succédané des politiques sociales. 
La confrontation avec une œuvre d’art, d’autant plus si elle est vivante, constitue un risque. Celui de se laisser emporter, là où on ne veut pas aller, là où l’on n’est jamais allé. Et d’où l’on ne voudra pas revenir, peut-être.

LE THÉÂTRE EST UN DANGER. UNE MISE EN DANGER.
POUR CELLE / CELUI QUI LE PRATIQUE.
POUR CELLE / CELUI QUI S’Y REND.

Le théâtre est un danger pour la société, parce qu’il la met en doute, qu’il met sans cesse en doute sa réalité, sa forme, en refuse les normes, les codes – qui sont autant d’impasses, autant de pièges où enfermer la Vérité, pour mieux exposer le mensonge, pour mieux renier les Promesses. Le théâtre rebat les cartes du sens qu’on nous impose, que l’on s’impose parfois nous-mêmes. 
Il est un danger par sa forme même, et par son contenu. 
Il ne peut accepter le monde tel qu’il est, tel qui va, il se doit d’exiger sa transformation, de revendiquer la Révolution.

Mais pour cela, sans doute doit-il se transformer lui-même.

On ne fait plus – ne doit plus faire – du théâtre dans des salles chauffées, assis.e.s sur des fauteuils confortables, entouré.e.s des bienveillantes caricatures de spectateurs disciplinés, accompagné.e.s de SIAP, enrubanné.e.s de décors ignifugés. 
Le théâtre est un incendie, il brûle, laissons-le brûler, sinon quoi ?

On nous l’a confisqué, nous a plongé.e.s dans le noir, et maintenant quelqu’un d’autre nous guide, la cohorte des décideurs, des directeurs, des médiateurs, des administrateurs, des photocopieurs.

Mais le théâtre est à nous. C’est notre feu, pas le leur. 
Reprenons-le, distribuons-le, partageons-le.
Faisons-le dans des églises en ruine, jouons-le dans des hangars abandonnés, des salles des fêtes humides, sur des gradins de paille, derrière des coulisses de carton ; éclairons-nous de lampes à piles, dessinons des affiches au feutre ; invitons nos ami.e.s, nos voisin.e.s, nos cousin.e.s ; bravons la nuit, et chuchotons s’il le faut, qu’on ne nous trouve pas, qu’ils ne nous trouvent pas.

Vous venez ? ...

Jérôme Favre, écrivain et metteur en scène (Pire, Normandie)

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