LE MONDE DE DEMAIN,  QUOIQU'IL ADVIENNE NOUS APPARTIENT, LA PUISSANCE EST
DANS NOS MAINS...


-----Message d'origine-----
De : "> [mailto: "> ] De la
part de Chtou
Envoyé : vendredi 20 avril 2012 18:51
À : Liste Rue
Objet : [rue] Haut et fort

Je suis un artiste, mais avant cela je suis un citoyen, et un militant.
J'ai 67 ans et je brandis des drapeaux rouges depuis ma plus tendre enfance,
si loin qu'ils paraissent aujourd'hui à ma mémoire en noir et blanc.
Vous comprendrez donc qu'enfin je prenne la parole sur cette liste, avant
les 48h de silence qui précèderont le vote de ce week-end.

Si j'ai l'impression de mettre les pieds dans le plat en parlant politique
ici, c'est que le silence à ce sujet y est assourdissant.
Face à la plus haute élection de ce pays, dans le contexte d'une crise
systémique terrible qui ébranle le monde, au moment où tout peut basculer
vers l'hallali des banksters ou à l'inverse dans un printemps
révolutionnaire si nécessaire, les artistes de rue s'emmurent dans un
silence politique quasi total.
Total. Un sale mot.

Peut être pensez vous que ce que vous faites n'a rien à voir avec la
politique.
Peut être pensez vous que la politique n'a rien à voir avec ce que vous
faites.
Vous vous tromperiez lourdement.
Les citoyens artistes ont une place unique et indispensable dans le débat
politique, et leur voix nous manque dramatiquement aujourd'hui, étouffée
qu'elle est par leur défaite, leur désespoir idéologique.
Et la politique enfante les artistes. Je l'ai vu de mes yeux clairs.
J'ai vu l'intermittence apparaitre, brutalement, soudainement dans ce pays.
Quel formidable affront, quel inimaginable élan solidaire, quel incroyable
rêve devenu réalité par une simple volonté politique.
Tout nous montre qu'elle pourrait disparaître tout aussi brutalement, si
vous vous laissez noyer dans le cours d'autres discours que les vôtres.
Vous pourriez, je vous le dis, crever demain dans ce silence qui est le
vôtre aujourd'hui.

Moi qui ai pu tourner spectacles après spectacles, payé par les
collectivités, vivre une vie libre et heureuse, faire trois enfants et les
élever, acheter une grande maison, rire boire et chanter dans le jardin avec
mes nombreux amis artistes, moi qui ai vécu ce temps où l'on levait la tête
et le poing en regardant loin, derrière le possible, un monde souhaitable
pour nous et nos enfants, je ne vous souhaite pas le sinistre monde
capitonné que présagent vos atones consentements.

Voilà pourquoi je vais clamer ici ma position politique. Je ne m'en excuse
pas, je l'assume haut et fort, comme cette vie de syndiqué, de communiste,
de protestataire, de révolutionnaire que j'ai balancé à la gueule de mon
temps.
Bien sûr le bulletin de vote des présidentielles semble dépasser nos simples
préoccupations d'artistes de rue. Il les rejoint pourtant à tous les
niveaux.

Je suis artiste de rue, je souhaite que le monde change, qu'on arrête de
placer le modèle économique au dessus des missions essentielles de la
société, celles du bien vivre ensemble, et que l'on replace au centre de
notre pays des valeurs humanistes et universelles.
Je ne connais qu'un seul programme qui place l'humain au centre de son
projet, et qui proclame l'humain d'abord.

Je suis artiste de rue, j'exècre la marchandisation du monde, je sais que
les budgets culturels sont bafoués par les profits de la finance, je sais
que les pauvres se comptent de plus en plus nombreux tandis que les profits
des banques, des traders, des actionnaires sont faramineux,
disproportionnés, indécents. Je ne connais qu'un seul programme qui défie
sérieusement la finance, et qui lui dit sans se dédier aussitôt we are very
dangerous.

Je suis artiste de rue, j'ai horreur du racisme, de la peur, de l'eugénisme,
je suis pour le mélange des cultures, la mixité des peaux, le cocktail
vivifiant du brassage culturel, j'aime mon voisin, je n'ai pas peur de
l'autre.
Je ne connais qu'un programme qui fasse baisser les yeux au front national.

Je suis artiste de rue, je pense que la culture fait la société, je
désespère de ce ministère de la culture fantomatique, je voudrais que les
budgets de la culture augmentent considérablement.
Je ne connais qu'un programme qui prévoit de monter ce budget à 1% du PIB.

Je suis artiste de rue, j'ai le coeur battant, je suis un être sensible, je
pleure parfois sans raison et sans honte, je vibre aux émotions du monde, je
suis souvent inspiré, je vole de temps à autre sur de hauts orbes célestes,
porté par l'inspiration, je ne peux contenir tout ce chant qui m'emplit.
Je ne connais qu'un programme qui parle d'amour, qu'un homme qui termine ses
meetings en lisant à des dizaines de milliers de travailleurs de belles
pages de poésie.

A ceux qui s'en foutent, qui pensent que tous se valent, que rien ne change
ni ne changera, j'adresse mes condoléances.
Mes condoléances à leurs rêves, leurs espoirs, leur militantisme, leur
éveil, leur combattivité, puisqu'ils sont morts desséchés par leur
désertion.
A ceux qui calculent et qui craignent, qui choisissent par défaut, abondant
l'alternance piteuse de cette république du fric, j'adresse ma tristesse, de
voir sacrifié leurs espoirs sur l'autel d'un pragmatisme auto-réalisateur.

à ceux qui hésitent encore, si votre réflexion, votre documentation ou peut
être votre temps ne vous ont pas encore permis encore de choisir, j'adresse
mon humble conseil, celui d'écouter votre flamme intérieure.

Qui abandonnera ses plus belles idées, ses plus hauts espoirs à l'entrée de
l'isoloir, ne s'étonnera pas de ne pas les retrouver en sortant.

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