Liste arts de la rue

Archives de la liste Aide


[rue] deuxième pérégrination


Chronologique Discussions 
  • From: Wa ba < >
  • To: undisclosed-recipients:;
  • Subject: [rue] deuxième pérégrination
  • Date: Sat, 12 Oct 2013 07:13:12 +0200
  • Importance: Normal


 
Au lendemain d'une nuit assez agitée, dans le bouge le plus étroit et le plus sordide que j'ai pu trouver, irrigué de mauvais whisky, rythmé par le bruit des dés qui claque sur la piste, éclairé par la lueur blafarde d'un néon et par le grand regard de la serveuse, au réveil, j'ai un peu mal à la tête, mais avec cette agréable impression qu'un quotidien fruste et brutal annonce parfois la poésie sombre des fleurs jaillis de la misère humaine, quand c'est dur cela peut aussi être poignant et fraternel..

Je suis redevenu jongleur comme au premier jour, avec l'envie de le faire là ou ça ne se fait pas, là ou on n a jamais vu ça. Faisant éclater les barrières de ma timidité, appréhendant parfois ce voyage comme une immense déambulation jonglée. Je me ballade de ruelles sales, en petites échoppes, de marchés couverts en quartiers populaires, lance mes balles, récolte des sourires, tente de communiquer et recommence plus loin. 
Souvent c'est très étroit, avec mes grosses balles et mes longs bras ça crée un décalage, initialement l'exiguïté était plus subie que voulue, c'est la mousson et les abris sont petits, depuis je commence a en tirer mon parti. 
Il semblerait que les gens apprécient, pour la plupart ils trouvent ça joli, mais avant tout je crois que le caractère insolite de la chose leur plaît. L'idée même du concept de jonglerie les amuse. Pourquoi ce grand blanc dégingandé s'évertue-t-il à lancer des objets alors qu'indéniablement ils finissent toujours par retomber ?

Depuis ce week-end je me suis déplacé et ça a changé. Je me trouve a Chang Mai au nord de la Thaïlande. La ville est assez belle, elle compte plus d'une centaine de temples. La classe moyenne représente une partie assez large de la population. La mousson touche à sa fin, les touristes affluent, l'ambiance est plus délétère, moins ouverte, mais il semblerait que leur argent soit assez correctement utilisé car c'est aussi plus propre, plus aseptisé, il y a donc moins de ruelles sordides pour jongler. C'est pourquoi je me suis dit qu'il fallait changer un petit peu d'approche et essayer de faire des spectacles. 

Ma première tentative s'est avérée assez infructueuse, je me suis rendu dans un grand marché hebdomadaire, immense bazar coloré, heureux fouillis organisé, où cohabitent  pèle-mêle, joyeusetés culinaires, artisanat de qualité et produits manufacturés. 
À peine le temps de commencer à faire un cercle que les placiers m'ont expliqués gentiment mais fermement que la rue était soumise à une demande d'autorisation préalable, que c'était gratuit, mais que pour l'heure je n'étais pas habilité à jouer. 
J'ai donc cherché un partenaire autorisé et me suis heurté au fait que les musiciens se produisant dans la rue étaient des religieux, des enfants ou des aveugles. J'ai fini par m'associer avec un indien qui reprenait (très mal) des standards de pop anglaise, mais quand au bout de trois morceaux, sans aucune explication il a pris le chapeau et l'a mis dans sa poche, je suis parti. 

En revanche, ma seconde représentation ici restera je pense pour toujours gravée dans ma mémoire. J'ai lu il y a quelque temps que le gouvernement de la province de Chang Mai tentait une expérience innovante en matière de politique carcérale. Je me suis rendu dans le quartier ouvert de la prison pour femmes et effectivement les détenues, dans les six mois précédant leur libération se voient proposer différentes formations professionnelles. Elles peuvent apprendre l'anglais, tiennent un petit restaurant et une pâtisserie et prodiguent des massages. L'argent qu'elles gagnent leur est remis à la fin de leur peine.
Souhaitant y faire un spectacle, j'ai demandé à être reçu par l'administration pénitentiaire et ai réussi a obtenir un entretien avec deux femmes souriantes malgré leurs tenues militaires. Elles m'ont semblées bienveillantes vis à vis des détenues, disent "my ladys" et m'ont demandées l'autorisation d'assister elles aussi à la représentation.  

Celle-ci a eu lieu hier, entre la fin de leur journée de travail et leur retour en cellule. Une trentaine de femmes y ont assisté. Celles-ci étaient tellement flattées qu'un occidental ait expressément engagé des démarches pour venir leur proposer un spectacle que je pense que j'aurais pu faire absolument n'importe quoi, dans tous les cas le succès eut été total. Après que je sois allé me changer aux toilettes, à la seule vue de mon costume, une liesse quasi indescriptible s'est emparée de ces dames. 
Ayant appris en amont qu'une d'entre elles jouait de la guitare, j'ai eu le plaisir qu'elle m'accompagne sur un moment de jonglerie. Je voudrais par ailleurs remercier Taïwan Mc qui pour l'occasion m'a gentiment offert le droit d'utiliser son morceau : Miss Chang. 

Le temps d'un moment je me suis senti dans la peau d'une rock star devant ses fans. Ah les plaisirs que celui qui se revendique artiste peut parfois s'octroyer, trente femmes enfermées depuis des années et un peu de toupet...
Une fois mon orgueil flatté j'ai proposé un petit atelier d initiation puis ai eu droit à une dégustation de leurs meilleures pâtisseries. C'est chouette quand on trouve un truc à faire qui rend tout le monde content !!

Merci a celles et ceux d'entre vous qui ont réussis à arriver jusque la, méfiez vous, il risque d'y avoir une suite !

Waba

Ps : Désolé si vous avez recu ce mail en plusieurs exemplaires.




  • [rue] deuxième pérégrination, Wa ba, 12/10/2013

Archives gérées par MHonArc 2.6.19+.

Top of page