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Re: [rue] comite d'expert DRAC


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  • From: Stéphane Blanchard < >
  • To: Liste Rue < >
  • Subject: Re: [rue] comite d'expert DRAC
  • Date: Mon, 10 Feb 2014 01:40:10 +0100 (CET)


Salut Pascal, salut Hervée.

Je me permets d'intervenir dans votre petite prise de bec, car je me sens un peu responsable.

En effet, je crois bien que c'est moi qui est énervé Pascal, avec ma petite contribution

à l'université buissonnière. Peut-être l'as tu lue Hervée? Ceci dit, Pascal n'a pas vraiment besoin

de moi pour s'énerver.Pas vrai camarade !

Evidemment Hervée, j'ai toute confiance en toi et ce que nous vivons en Midi-Pyrénées n'est surement

qu'un dysfonctionnement.

Néanmoins, je pense qu'il pourrait être intéressant de profiter de l'occasion pour réfléchir tranquillement

à tout ça.

C'est pourquoi je soumets à votre sagacité ce texte un peu long de Doc Kasimir Bisou alias Jean-Michel Lucas.

 

En espérant pouvoir en discuter prochainement avec vous.

Amicalement

Stéphane

compagnie pictofacto



RECONSTRUIRE LA POLITIQUE CULTURELLE :
SAVOIR A QUI PARLER !


Le 20 décembre 2006, Doc Kasimir Bisou,
Pas de place ! Pas de place !crièrent-il à Alice en la voyant.
Il y a beaucoup de place ! dit Alice indignée,
et elle s’assit dans un grand fauteuil à un bout de la table.
Lewis Carroll


La seule certitude que le mouvement des intermittents a produite, depuis trois ans, est
l’impossibilité de trouver une solution efficace au développement de la politique culturelle. On
pourrait en déduire la nécessité d’opérer à vif une « refondation » mais de cette perspective, les
acteurs ont déjà fait le tour ; les plus anciens se rappellent que « refondations » et autres
« commissions nationales » n’ont su que dessiner des horizons d’attente qui, par définition
reculent quand on avance. On évoque maintenant les « concertations territoriales » en particulier
pour les musiques actuelles, dans l’espoir de la « co-construction » des programmes
d’interventions culturelles, mais ceux qui ont lu « Alice », ailleurs que dans des livres pour
enfant, ont compris que la scène ressemblait fort au thé du chapelier, du loir et du lièvre de
mars, qui ne peuvent que tourner autour de la même table, toujours bloqués à la même heure
puisque le Temps ne communique plus avec eux.. Heureusement, c’est l’heure du thé, même s’il
est un peu froid !
L’impasse semble totale puisque à quelques mois des élections présidentielles les programmes
culturels des partis annonçant des candidats sont d’une banalité désespérante, comme si le
passé indiquait la seule voie du futur pour la politique culturelle. On peut évidemment en rester
là et espérer la recette magique : décentralisation, augmentation massive des subventions ou
éducation artistique, pour y découvrir, comme Bernard Faivre d’Arcier scrutant sa boule de
cristal, « d’énormes réserves de public », à cause « de très grandes inégalités culturelles ».1


I - ELIMINER LES FICTIONS NECESSAIRES
Plutôt que de répéter la messe, on devrait se féliciter de cette impasse qui oblige à interroger
les dogmes rouillés de la politique culturelle à la française. La gravité de la situation peut faire
prendre conscience que le temps des « fictions nécessaires » est terminé, en tout cas pour ceux
qui ont cru pouvoir rêver d’un rôle que nul ne leur a donné. Et si solution il y a, il faut la trouver
ailleurs que dans l’auto-proclamation de leur mission d’intérêt général par les acteurs culturels
eux –mêmes.


A- Les faibles moyens publics
La première « fiction nécessaire »2 oblige à baisser la tête avec humilité : les moyens de la
politique culturelle publique ne permettent que des objectifs modestes et donc minutieusement
choisis. Si l’on regarde la France de 2003, l’ensemble du poste «consommation des ménages en
produits et services culturels » donne un chiffre de l’ordre de 39 612 millions d’euros. Par
comparaison, l’intervention du ministère de la culture est de 2 497 millions d’euros. Sachant que
les prélèvements obligatoires atteignent déjà 44 % du Produit Intérieur brut, on voit mal la marge
de manoeuvre pour les interventions culturelles publiques, dans l’avenir.


Conclusion : inutile de se mentir, la politique publique culturelle ne peut pas et ne pourra pas
concurrencer le marché libre dans les stratégies de consommation, c’est à dire de fréquentation
de services et produits culturels.
Il n’est pas sérieux de défendre la culture en disant : « ce festival était une réussite, il a réuni
44000 spectateurs en un mois,( alors qu’un bon match de foot fait autant en une soirée !). Il faut
se fixer des objectifs publics autres que quantitatifs, qui portent sens et valeur pour l’avenir de
la société.


B- L'émancipation par l'art n'est pas d'intérêt général
La seconde « fiction nécessaire » à évacuer est qualitative. Dans le coeur des acteurs culturels,
vibre une voix de missionnaire qui les appelle à apporter l’art au peuple démuni de culture,
(mais néanmoins, on vient de le voir, grand consommateur de produits culturels !). Ebloui,
l’artiste sillonne les rues et les routes pour apporter ses créations au plus grand nombre, pour
éclairer les âmes et les esprits comme d’autres éclairent les places publiques. Ils sont l’art, ils
sont à la recherche d’un public, plutôt « leur » public, ils offrent les valeurs du beau aux
populations ébahies. Ils cherchent dans la jungle d’un monde cruel, déterministe et marchand, à
partager les oeuvres de l’art avec « cette fameuse part absente de la population, pour qui l’art et
la culture ne sont que des abstractions réservées à ceux que Bourdieu appelle les héritiers. 3»
Cette mission d’émancipation par les arts et la culture est certainement louable, mais elle ne
figure pas dans les missions explicitement confiées par notre chère république aux décideurs
publics. Inutile de chercher mieux : un festival ne peut se justifier que par « l’attractivité du
territoire » et « la réponse aux attentes » des habitants et aux hôteliers. C’est marqué, c’est écrit,
c’est la loi ! La compétence des décideurs publics est la satisfaction de l’usager, du contribuable,
du citoyen, 4 et l’on doit s’étonner que des acteurs professionnels découvrent que la « tendance
générale à voir de la culture partout (tourisme, commerce, pratiques culinaires, etc) donne le
triste sentiment qu’elle n’est plus nulle part » ! ! 5
S’imaginer responsable d’autres finalités, émanciper, épanouir, porter l’art dans les quartiers,
c’est s’inventer une mission de service public que la démocratie n’a jamais confirmée. C’est se
croire investi d’une mission publique, par auto suggestion ; c’est accepter de vivre en passager
clandestin dans le grand navire des financements publics. Il faut toujours se rappeler que la
fameuse charte des missions de service public dans le spectacle vivant du 22 octobre 1998, n’est
qu’un « petite » circulaire, qui n’a jamais pu se transformer en loi de la République ; une simple
grenouille montée sur la scène de l’Etat de droit en prétendant y jouer le rôle de boeuf.
Je sais qu’il ne faut pas désespérer les Billancourt des chapiteaux et des arts de rue, mais il est
tout aussi inutile de faire croire que la logique de la politique culturelle à la française a de
l’avenir, en terme de finalités et de moyens pour ceux qui ne sont pas des établissements publics
aux missions artistiques, culturelles et sociales explicitement formalisées dans l’Etat de droit. Le
bus de la politique culturelle à la française, déjà bien fatigué, ne passera pas à l’arrêt « art de la
rue » ; peut-être à l’arrêt d’en face « attractivité et vitalité du territoire » ou à l’arrêt «attente des
habitants », mais, l’arrêt « art de l’émancipation par l’art » ne fait plus partie du circuit. Ceux qui
en doutent, peuvent regarder un texte passionnant qui est notre loi à tous : les bleus
budgétaires de la loi de finances 2007, accessibles à tout citoyen dont l’ego n’est pas limité à la
réclamation de subventions pour son projet perso. On y évoque le « public », on y parle donc la
même langue que les artistes qui font de l’art, mais c’est uniquement pour fixer des chiffres de
fréquentation et des pourcentages de places vendues. D’ailleurs, le texte ne vise que des
institutions culturelles (en dur) et des organismes conventionnés sur trois ans. Les petits
artistes émergents, dans des coins perdus, en marge de tout, sont inconnus de la performance
de l’Etat culturel et n’auront de places que s’ils les trouvent à la loupe dans la loi de finances,
peut-être comme créateurs, choisis par les comités d’experts, avec un taux de renouvellement
de plus de 45 % par an. A peine entré, déjà parti ! heureusement pour les compagnies,
conventionnées ou aidées au projet, le taux d’évacuation est seulement de 10 %



 

C - La qualité artistique est un secret

La troisième « fiction nécessaire », à éliminer très vite, prétend que la politique culturelle, de
l’Etat comme des collectivités, a légitimité pour dire au peuple, et à l’histoire, ce qui est « art » et
ce qui ne l’est pas. L’argent public exige une sélection des projets sur la base de leur qualité
artistique définie par des experts spécialisés, choisis dans la discrétion et choisissant eux
mêmes, dans le « secret absolu des délibérations », comme on dit dans les circulaires.
En énonçant ce dogme, la politique culturelle a refermé le noeud coulant qu’elle s’était mise
autour du cou. Elle propose, en effet, à l’assemblée des citoyens des objets d’art avec valeur
estampillée. Le citoyen n’a plus rien à dire. Il n’existe plus dans sa parole publique. S’il est
satisfait des choix artistiques faits en son nom, il devient « public » des oeuvres d’art et garde
son plaisir pour l’intimité de son être. (Il lui arrive aussi de bailler mais il ne dit rien car il sait
que l’art épanouit les êtres, ce qui ne prévoit pas le bâillement ! !)
Ou alors, il ne devient pas public. IL faut alors le rattraper et, nous dit le syndéac, c’est « la
tentation utilitariste de la culture, pouvant se décliner dans un populisme avoué ». Pas de
pardon, si vous ne choisissez pas le cercle de mes valeurs, vous tombez la tête la première dans
le populisme. La « fiction nécessaire » connaît le poids des mots. Dur à avaler pour une
démocratie où les « publics » tout incultes qu’ils soient, ont la responsabilité de choisir
régulièrement leurs élus ! ! Faudrait-il supprimer la démocratie, dès que l’on parle de culture !
Etonnant, non ?
Pour le « despotisme éclairé » 6des professionnels de la culture, la seule perspective acceptable
est donc de partir « à la conquête des nouveaux publics », en leur promettant une désaliénation
culturelle, aussi massive qu’efficace ! Pourtant, sans succès, si on se rappelle les statistiques
nationales ! !
Cette fiction de la « qualité artistique » choisie par les pouvoirs publics, pour le bien de tous et
de chacun, est construite sur un raisonnement puissant qui a acquis une légitimité certaine dans
la société moderne. Ce raisonnement conduit à analyser le travail des professionnels de la
culture comme un travail sur autrui visant à convertir les individus aux vraies valeurs
émancipatrices de l’art, mais l’argument ne vaut que si les oeuvres sont choisies dans le secret, à
l’abri des piaillements du peuple. Voilà donc une « fiction nécessaire » un peut trop « magique »
puisqu’elle consiste à choisir, dans la confidence des spécialistes, des valeurs importantes pour
émanciper les êtres, alors que les êtres en question ont, par définition, dans la démocratie
moderne, le droit le plus absolu de liberté de goût et d’autonomie de leur choix des valeurs
culturelles !
A ce stade du raisonnement, la réaction que j’entends le plus est « qu’ il ne faut pas jeter le bébé
avec l’eau du bain ». Mais, avec l’expérience, on sait aussi que, si l’eau est froide et stagnante, il
est urgent de changer de baignoire, pour que le bébé puisse grandir en beauté !
II - RECONSTRUIRE LES ALLIANCES
Les perspectives de reconstruire sur de nouvelles bases les interventions publiques en direction
des arts et des cultures ne manquent pas, à condition que les acteurs culturels abandonnent au
passé les « fictions nécessaires » . Il faut qu’ils acceptent de considérer qu’ils ne sont pas seuls
au monde ou plutôt, au dessus du monde. Le combat qu’ils mènent pour l’émancipation par les
arts doit emprunter des voies de luttes démocratiques engagées par d’autres légitimités. C’est
évidemment moins confortable que d’avoir sa légitimité, à soi tout seul, et de jouer les grands
seigneurs des terres de culture ; en revanche, c’est plus sûr pour construire de nouveaux modes
d’intervention publique en direction des arts et des cultures, (surtout lorsque l’on n’est pas « une
institution culturelle » ayant un statut validé dans l’Etat de droit.)


A - FTLV et émancipation par les cultures et les arts.
La première « autre » légitimité à investir est celle du mémorandum de Lisbonne sur l’éducation
et la formation tout au long de la vie,(FTLV).7
L’Europe n’a d’avenir que si les individus inscrivent leur vie dans des processus permanents
d’éducation, tant formelle que non formelle ou informelle. Sa légitimité politique est bien
assise sur un raisonnement imparable : « les Européens d'aujourd'hui vivent dans un monde
social et politique complexe. Plus que jamais, les citoyens entendent être les artisans de leur vie,
sont tenus de contribuer activement à la société et doivent apprendre à considérer de manière
positive la diversité culturelle, ethnique et linguistique. L'éducation au sens le plus large est la
condition requise pour comprendre ces défis et apprendre à les relever. »
Cette légitimité est souvent réduite à la nécessité de former à des compétences rentables. Mais
l’argumentaire de la FTLV, façon mémorandum de Lisbonne, justifie des mesures en faveur de
l’émancipation des individus. On peut inclure dans cette logique de politique publique
l’émancipation par la culture, favorisant la réalisation de « Parcours d’Initiatives Culturelles »
permettant aux personnes d’être « des artisans de leur vie ». Voilà une politique publique qui ne
vise pas la « consommation » à outrance, la « fréquentation » du plus grand nombre, mais le
développement de la personne. Certes, l’éducation par la culture, tout au long de la vie, a été peu
prise en compte par le mémorandum de Lisbonne, mais il ne tient qu’aux acteurs culturels de
relever le gant et de négocier, au titre de cette finalité politique hautement légitime, des projets
d’éducation non formelle, faite de contrats et d’engagement, librement négociés entre les
individus et les équipes culturelles.
Evidemment, dans ce cadre, il ne faut pas considérer ces personnes comme des publics qui
auraient tout à apprendre de l’artiste ; Il faut accepter - quel changement ! - que « nos »
publics soient des individus ayant des identités culturelles, autonomes, respectables et
respectées , des parcours personnels singuliers, avec des valeurs à défendre et des paroles à
faire entendre ! Le contrat et les engagements pour des « Parcours d’Initiatives Culturelles » ,
des "PIC", associant les personnes et les équipes culturelles demandent une longue élaboration
personnalisée, au delà de la fiction de la fréquentation des publics (ou des populations) de
consommateurs.


B - INNOVATIONS ET EXPERIMENTATIONS ARTISTIQUES
La deuxième légitimité est celle de l’innovation. On l’a dit plus haut, la « création artistique » n’a
pas une légitimité bien assise dans la politique publique, sauf pour quelques institutions
nommément désignées. Certes l’illusion est largement partagée que la création mérite
subvention, mais uniquement par ceux qui y croient ! Elle ne l’est pas vraiment dans l’Etat de
droit qui, rappelons le, est là pour cadrer les compétences de ceux qui décident ! A l’arrivée, on
doit bien constater qu’il y a peu de capacités de négociation en faveur de la création, dans un
démocratie continuellement sollicitée pour faire le bien et le juste.
Une autre entrée légitime offre plus de poids que l’entrée par la création artistique, du moins
pour les acteurs culturels qui ne mettent pas leur auto-glorification de créateur d’art comme
condition préalable à la négociation.
L’argument s’appuie sur la légitimité des identités culturelles de chacun. On se rappelle qu’à
l’unanimité, les parlementaires, en juillet 2006, ont autorisé notre pays a reconnaître
l’importance des identités culturelles, à travers la ratification de la « convention sur la promotion
et la protection de la diversité des expressions culturelles » proposée par l’Unesco.
Certes, la notion de diversité culturelle est mise à toutes les sauces, mais il y a dans ce texte
d’une légitimité incontestable, une conception des identités culturelles, pensées comme
« identités plurielles, variées et dynamiques ». L’objectif politique est alors l’épanouissement des
individus, à travers l’interactivité avec les autres.
Voilà une bonne base de négociation pour ceux des acteurs des cultures qui travaillent dans
l’espace public, au coeur des flux d’échanges symboliques entre les identités ! A condition
d’arrêter de produire des contresens en pensant « publics » et « populations » auxquels on
apporte l’art tout fait !
Dans cette logique de la diversité culturelle, il est écrit, noir sur blanc, que les identités
culturelles, pour participer pleinement au « Vivre Ensemble » ont besoin, sans cesse, de se
renouveler, sous peine de demeurer sclérosées. L’argument politique est majeur : l’innovation et
la créativité sont nécessaires pour que la Nation échappe aux effets désastreux du repli
identitaire. La société ne peut donc s’enfermer dans ses conformismes, dans ses « chacun chez
soi », dans la protection des cultures figées, pures et authentiques. Elle doit au contraire, parier
sur les pluralités culturelles et mettre en place des politiques publiques favorisant les

croisements, les métissages, les inventions de nouveaux signes, les expérimentations hors
normes.
Elle doit permettre aux identités culturelles de se construire par ces rencontres avec la diversité
des autres et de ce qu’ils inventent. Pour survivre et cheminer vers le progrès, la société de
diversité culturelle a besoin de soutenir les émergences et les espaces d’expérimentation de
nouvelles symboliques.
D’accord, ça pourrait faire un peu « socio-cu » ! En tout cas, pour ceux qui veulent tuer la bête
de la diversité culturelle avant de l’avoir pesée. Regardons pourtant de plus près les
conséquences de cette légitimité reconnue au niveau mondial via l’Unesco, pour les acteurs des
arts et des cultures.
* En premier lieu, les acteurs culturels peuvent revendiquer, collectivement, une place à la table
de négociation de la politique publique, en disant : « votre société est conformiste ; elle
accumule les règlements, même pour faire un tout petit spectacle dans les bars ou dans la rue.
Chaque jour, on augmente la liste des règles et règlements à respecter avant de pouvoir exercer
notre art. Au nom de l’intérêt général, nous devons être dans la conformité et respecter la
législation sur le bruit, la fiscalité, l’ordre public, la santé, la sécurité, les droits des auteurs, des
entrepreneurs de spectacles, l’emploi des artistes étrangers, sans compter le commissaire aux
comptes et le droit du travail.8 Les conditions à remplir pour commencer à exister sont
tellement draconiennes que la possibilité de sortir du cadre se réduit à vue d’oeil. Les espaces
en marge, les hangars et friches pour inventer et prendre les risques de la non conformité sont
devenus introuvables. »
Or, en signant les textes sur la diversité culturelle, les décideurs politiques se condamnent à
parier sur l’innovation et la créativité. Il leur faut accepter de négocier une place pour
l’expérimentation culturelle à vocation artistique, avec la capacité juridique de ne pas y
appliquer toutes les contraintes de droit de la vie ordinaire. En s’appuyant sur la légitimité de la
« Diversité culturelle », on passe de la logique du « tout conforme » à la logique de
l’expérimentation des nouveaux signes symboliques. Le droit à l’expérimentation culturelle à
vocation artistique, au nom même des ambitions de progrès de la société, est devenu une
urgence vitale.
* En second lieu, cette approche de la négociation avec les décideurs publics pose frontalement
la question de la reconnaissance de la qualité artistique. Le modèle de la politique culturelle à la
française évalue la qualité artistique avant d’accorder des aides. Mais, si on plaide
l’expérimentation « artistique », au nom de la légitimité de la diversité culturelle, il n’est plus
pensable de porter un jugement de valeur, au nom de l’intérêt général, sur ce qui se tente et qui
n’est pas encore accompli, ni estampillable ! Comme on dit à Uzeste, « c’est par où, c’est par
l’art », une direction, un processus, une démarche, pas une étiquette posée par des experts
« secrets » sur des émotions à vif. Durant des années, les experts n’ont jamais voulu donner
valeur à la « bande dessinée » , au « cirque », au « théâtre de rue », au « rock », au « hip hop ».
Rien ne permet de justifier que des experts, par disciplines normalisées, seront en mesure de
juger, avec une responsabilité d’intérêt général, des valeurs de « l’art en train de se faire »,
d’autant que, la plupart du temps, nul ne sait encore qu’il s’agit d’un art auquel l’histoire donnera
un nom ! ! ( Les débuts de DADA ou de la Break Dance n’étaient pas tristes de ce point de vue !)
Par contre, hors de tout secret, et dans l’espace si vaste où se confrontent les identités, tout
impose que ceux qui savent, qui connaissent, qui maîtrisent les codes, les langages, les normes
éclairent les citoyens sur ce qui se passe. L’expert doit assumer pleinement la subjectivité de ses
jugements sur « l’art en train de se faire » et la mission publique qui lui revient est de défendre
sa subjectivité éclairée, dans la confrontation pacifique et respectueuse avec les autres identités
culturelles. La logique de la diversité culturelle est que l’expert, le spécialiste, les pairs affrontent
les citoyens pour les convaincre que ces « arts en train de se faire » sont bénéfiques pour la
construction d’identités culturelles, variées, plurielles et dynamiques.
Dans cette légitimité de la diversité culturelle, la logique de missionnement public devient donc
celle ci :

Le décideur public favorise le droit à l’expérimentation et en contrepartie il organise le devoir
d’interactivité, c’est à dire des « parcours d’expérimentation culturelle », PEC. Ceux qui se
prétendent « artistes » (mais qui ont ici, un statut protégé d’expérimentateurs) ainsi que les
experts qui les défendent, mouillent la chemise pour convaincre les citoyens et favoriser les
interactivités entre les identités culturelles. Le soutien public au PEC devra être lié à la capacité
du projet des expérimentateurs à nourrir dans les espaces publics - qui vont de la rue à
l’internet- ces frottages et limages de cervelles dont Montaigne nous rappelait l’importance.
Ici, on ne compte pas les fréquentations, ni la recette du spectacle. On attend des témoignages
de citoyens, les uns pour dire que l’expérimentation a changé leur vie, les autres pour affirmer
qu’ils n’apprécient guère, mais, en revanche, qu’ils reconnaissent l’importance de ces acteurs de
l’innovation pour le « Vivre ensemble ». « Epanouissement personnel » et « vivre ensemble », via
l’expérimentation, les finalités de la diversité culturelle ont tout pour reconstruire des bases
solides pour les interventions culturelles publiques. Au moins, avec les signatures des textes de
l’Unesco, on peut dire que le terrain de négociation de cette piste de la diversité culturelle a déjà
été décidé par les politiques, même si nombre d’acteurs culturels ne veulent pas en profiter et
préfèrent les vieilles recettes des commissions d’experts et des subventions pour animer la fête
du village.


3 – ASSOCIATION ET ECHANGES DE CULTURES,
La troisième légitimité qu’il conviendrait d’emprunter pour sortir du guêpier est celle de la vie
associative.
* Le principe de la vie associative est l’organisation collective d’activités dans un but qui n’est
pas lucratif. On pourrait penser que ce type d’activités est incongrue dans une société qui a
choisi de considérer que son avenir passait par le développement du marché libre à concurrence
loyale. Mais un monde complexe ne peut pas se contenter d’une vison simpliste de la société. On
ne peut pas imaginer que la société idéale soit uniquement composée d’entreprises à profit, en
situation de concurrence, et d’administrations gérant des services d’intérêt public.
Comme l’analyse avec pertinence, « l’appel pour une Europe sociale et solidaire », « le
développement sans précédent de la relation de service, qui constitue l’une des aspects majeurs
des transformations contemporaines, ne doit être interprété ni comme la simple montée en
puissance du secteur des services, ni comme l’émergence massive de petits boulots sans
qualifications, antichambre d’un salariat à deux vitesses. La relation de service est aussi présente
dans l’industrie, la culture ou l’enseignement que la santé ou les services sociaux. L’économie se
tertiarise . … A l’évidence, ces services sont trop vastes et leur contenu trop relationnel pour se
laisser prendre au piège d’une marchandisation sans fin. Mais leur faculté à se muer en
véritables lieux de solidarité, leur capacité à façonner une économie qui ne soit pas réduite au
marché suppose de prendre à bras le corps le sens que nous voulons donner à ce que nous
appelons « économie ». En réalité, toutes les activités sont concernées, rurales ou urbaines,
matérielles ou culturelles. La définition d’un modèle social et démocratique exige que cette «
économie des services » soit ré-encastrée dans la société. »
Les acteurs culturels, qui ne sont ni des marchands à profit, ni des fonctionnaires financés par
l’impôt du contribuable, ont cette solution qui s’offre à eux de rejoindre les mouvements
associatifs, mutualistes, coopératifs pour faire progresser la légitimité d’une économie des
services à haute valeur ajoutée relationnelle.
« En d’autres termes, si la société européenne a traversé l’histoire sur la base d’une économie
avec marché, toutes ses activités économiques ne peuvent pour autant se réduire au marché. ..
Parallèlement au marché, il importe de reconnaître toutes les formes économiques ancrées dans
la solidarité, en particulier celles qui connaissent une dynamique forte depuis quelques années
(initiatives associatives et coopératives dans les services, commerce équitable, réseaux
d’échanges locaux, finances solidaires, monnaies sociales, etc.) ».
En tout cas, pour la plupart des acteurs culturels l’espace de réflexion ne peut pas se limiter aux
questions nombrilistes sur la valeur de l’art dans la société. Pour imaginer le développement
des activités culturelles dans l’avenir, il faudra bien que les acteurs culturels admettent qu’ils
ont, eux aussi, à combattre pour une statut solide des activités associatives dans une société de
marché qui se pique de démocratie ! Il serait pitoyable de rester entre soi, en ruminant les
heures glorieuses d’une politique culturelle que beaucoup d’acteurs ont plus rêvée que vécue ; il
serait désolant de ne pas considérer comme politiquement stratégique l’alliance avec le

mouvement associatif. D’autant que l’enjeu de légitimité est considérable comme nous le
rappelle la Conférence permanente des coordinations associatives 9: « Partout en France, notre
objectif est de parler et de faire parler du monde associatif. Il représente aujourd’hui la première
force collective organisée (11 millions de bénévoles pour 1 million d’associations) et un acteur
économique incontournable (1,6 millions de salariés, 48 milliards d’euros de budget). » Les
acteurs culturels ne peuvent passer à coté de ce mouvement, sous prétexte qu’ils feraient dans
l’art, quand les autres feraient de l’associatif d’utilité sociale ! De telles erreurs de perspective
finiront par ressembler à de l’aveuglement.
* Surtout que les acteurs culturels ont un privilège de légitimité sur tous les autres acteurs
associatifs. Depuis la signature par la France de la Déclaration Universelle sur la Diversité
Culturelle10, il est reconnu, au niveau international, que la culture n’est pas une marchandise
comme les autres ! La voie d’un traitement à part de la production de la diffusion de l’échange
d’expressions culturelles est largement légitimée par ces textes sur la diversité culturelle. Il
faudrait peut être essayer d’en profiter !
Les acteurs culturels sont donc les mieux placés pour obtenir des décideurs publics que les
échanges de marchandises culturelles obéissent à d’autres régimes que celui de la recherche du
profit maximal dans un marché de concurrence, libre, pure et parfaite. On doit collectivement
concevoir une finalité de partage culturel pour un certain nombre d’échanges de biens et de
services culturels. Marchandises certes, mais pas comme les autres. L’échange marchand n’est
plus alors pensé comme un échange à profit mais comme un dispositif d’interactivité entre les
identités culturelles.
Avec cette logique, la vente de « marchandises à partage culturel » ne peut pas être considérée
comme un mécanisme de standardisation culturelle aliénant, ouvrant sur un populisme
insupportable !
Dans cette approche, à négocier collectivement, ce n’est pas le produit culturel ou la taille de
l’entreprise qui donne le ton, mais l’intention du producteur et du vendeur. Il leur revient la
responsabilité de choisir leur voie : faire des profits et les garder pour eux en utilisant toutes
les ressources d’un marché mondialisé. Ou, préférer le partage culturel par adhésion à une
charte éthique définissant les principes du « Partage Arts et Cultures, (PAC). C’est aux acteurs,
pas seulement culturels, de préciser les exigences de ces contrats d’utilité collective « PAC »,
mais on en trouve une esquisse concrète dans l’enquête récente d’Opale 11.
Dans cet esprit, l’échange de partage culturel supposerait, via la charte, que chaque signataire
soit acteur actif de la coopération avec d’autres acteurs de pays démunis. On rappellera à ce
propos que la « convention sur la promotion et la protection de la diversité des expressions
culturelles » insiste sur la mobilisation de la société civile pour renforcer la coopération
culturelle, ce que la France semble avoir bien oublié.
En contrepartie de ces Pac, les décideurs publics, au niveau européen sans doute, admettraient
que les producteurs et vendeurs bénéficieraient d’un soutien public indirect, sous des formes
multiples de dégrèvements fiscaux, d’accès aux financements de donateurs, de soutiens
bancaires cautionnés, de dispositifs de soutien à la gestion et au développement. Il existe déjà
actuellement de multiples dispositifs de soutien aux associations, comme le rappelle l’AVISE,

> Message du 04/02/14 12:00
> De : " "
> A : "De Lafond Hervée" , "rue" , "listenationale"
> Copie à :
> Objet : Re: [rue] comité d'expert DRAC
>
> Hervee salut,

>
Je n arrive pas a etre convaincu , les comites d experts ne devrait pas exister .
Pas besoin il faut inventer une autre forme d aide a la creation mais j y pense il y a deja l intermittence pas mal et toutes les aides a la crea vont a la diff sur que ce sera plus juste et pluralistes.
Parce que comme le dit Jacques un dossier de crea doit sortir 2 ans avant la premiere voire plus aujourd hui pour le circuit residence cnar etc...
Est ce que Picasso savait ce qu il creerait 2 ans plus tard sic JL ? Non .
Les des sont pipes et les comites, commissions ne servent qu a edulcore les oeuvres car les meilleures les plus engagees ne feront jamais unanimite car celles la ne feront meme pas l objet d un dossier A4 au pire le consensus a trouver entre une dizaine dexperts les  feront toujours disparaitre .
La fraicheur des annees80 ou nous n avions pas d aide a bel et bien disparu quoique tu en dises.

>
Dis moi ton avis a ce sujet

>
Et cela fait plaisir de constater que de nombreuses voix s elevent contre les perversites de  l institutionalisation.
A part les artistes leches culs patentes pas toujours les meilleurs createurs mais les plus efficaces dans les reunions et bureaux archi presents dans tous les groupements fede, etc.. se retrouve donc dans toutes les commissions et deviennent les decisionnaires, voire des personnages importants de la profession a courtiser en priorite. 

>
 Force est de constater qu il n y a plus grand monde pour defendre le modele que l on nous impose.
Visiblement vu les reactions toute la rue n etait pas a Toulouse.

>
Et le prochain sur la liste ce sera le hip hop en voie de recuperation.

>
Une belle saison a tous
Pascal

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> Message du : 03/02/2014 17:33
> De : "De Lafond Hervée "
> A :
> Copie à :
> Sujet : [rue] comité d'expert DRAC
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> Ecoute Pascal,
> Il faut que tu reste dans les limites du raisonnable,nous l'avons tous voulu que dans les comités d'expert il y ait des gens de la rue donc des pairs donc des gens qui créent et qui demandent des subventions,tu ne croies tout de même pas que pendant 3 ans le théâtre de l'Unité va s'arrêter de travailler et de demander des aides de l'état juste parce que j'ai l'insigne honneur d'être dans le comité d'expert?Qu'est ce que tu t'imagines?On est bénévole,on paye nous même nos déplacements pour aller voir les spectacles parfois 6H de route AR,on paye même essence et péage pour aller au comité ,on lit des dossiers,on parle et on rencontre les troupes qui le demandent et pour finir quand les dossiers "rue" arrivent en toute fin de réunion alors que la moitié des experts sont déjà partis heureusement qu'on est là pour expliquer les démarches et défendre les projets de compagnies totalement ignorées par les autres experts et qu'est ce qu'on y gagne?un super plateau repas à midi 2 fois dans l'année,wouaaaaaaahhhhhhh,ça vaut le coup d'abandonner toute demande de subventions pour savourer ces 2 super gueuletons !!!
> Non,ce n'est pas parfait,c'est sûr,mais je préfère être évaluée par des experts qui sont parfois juges et parties que par des experts qui ne connaissent strictement rien à la rue et cachent plus ou moins bien leur mépris.
> Salut et Fraternité
> Hervée de Lafond
> Théâtre de l'Unité
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