Je
n'ai rien contre Jean-Patrick Gille. D'ailleurs je ne le connais pas.
Mais dans un conflit, choisir un médiateur qui a déjà pris position
publiquement en faveur de l'une des parties me semble un choix très
étrange. A peu près aussi bizarre que de conduire un dialogue social dans les locaux du Medef.
Le député Jean-Patrick Gille vient donc d'être nommé par Manuel Valls
pour assurer un rôle de médiateur dans le dossier des intermittents du
spectacle. Pour les autres précaires, en particulier les intérimaires,
aucun médiateur n'a été nommé. Il s'agit pour le gouvernement d'essayer
de sauver la saison des festivals – s'il est encore temps – sans pour
autant renoncer à agréer la convention Unedic qui est au cœur du conflit
social actuel et qui, si elle est appliquée, va dégrader les conditions
de vie de très nombreux travailleurs précaires (dont des intermittents,
mais pas seulement).
Je n'ai rien contre Jean-Patrick Gille. Non, rien du tout.
Il
a choisi de faire partie des socialistes (trop peu nombreux) qui
militent pour la sortie du nucléaire. Il a fondé la «Nouvelle Gauche»
avec Benoit Hamon à une époque où ce dernier aurait ri au nez de
quiconque lui aurait prédit : «Tu sais Benoît, un jour tu seras ministre
de Manuel Valls ». Il a aussi présenté à l'Assemblée un rapport très détaillé sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques. Bref, il a sûrement plein de belles qualités humaines et intellectuelles.
Par
ailleurs réouvrir ce dossier est une excellente idée. Les tensions sont
grandes, la colère immense, le désespoir réel. Donc oui, il faut
reprendre de vraies négociations en écoutant les propositions du comité de suivi
qui a travaillé de nombreuses années sur ces sujets et a d'excellentes
propositions à faire. Oui, il faut donner des suites concrètes à un
certain nombre de revendications raisonnables et légitimes
portées par les coordinations de précaires et d'intermittents,
revendications qui ont toujours été soutenues par les socialistes
lorsque ceux-ci n'étaient pas au pouvoir.
Jusqu'ici tout va donc presque bien.
Mais je me pose une question.
L'objet du conflit social actuel est l'agrément de la nouvelle convention Unedic.
Certains
comme le MEDEF, la CGPME, l'UPA, la CFDT, la CFTC, FO, ou le Ministère
du travail estiment qu'elle est issue d'un processus légitime. D'autres
comme la CGT Spectacle, plusieurs coordinations d'intermittents et de précaires, SUD TAS, UNAS CGT, SNU TEF, des personnalités du SYNDEAC, des associations, des parlementaires,
des responsables politiques, ont exprimé leur indignation par rapport à
la façon dont ont été conduites les discussions et une forte opposition
au texte de la convention qui en a découlé, tout en formulant de
nombreuses propositions alternatives.
Actuellement, il y a donc
deux camps dont la limite se dessine clairement autour de la nouvelle
convention Unedic : d'une part le camp de ceux qui veulent agréer, et d'autre part le camp de ceux qui ne veulent pas agréer.
En
théorie le rôle d'un médiateur, même si on l'affuble d'une dénomination
aussi ridicule que «chargé de mission de propositions», serait au moins
dans un premier temps de tendre une oreille équitable et bienveillante
aux différentes parties qu'il prétend rassembler. Ce qu'il semble prêt à
faire:
Mais c'est là que quelque chose ne va pas du tout. Car Jean-Patrick Gilles a déjà pris position publiquement en faveur de l'agrément de la convention, les 4 et 5 juin:
Sur le principal point de désaccord, son choix est sans ambiguïté : il soutient la proposition de François Rebsamen d'agréer la convention.
Qu'il
veuille ensuite discuter avec les intermittents c'est son droit... Mais
de quoi ? Et avec qui ? Car c'est bel et bien de l'agrément de la
convention qu'il s'agit. Si cette convention est agréée il n'y aura plus
de dialogue, il y aura des conflits, des grèves, des annulations, des
rassemblements, des occupations, une lutte sociale, comme cela a déjà
commencé. Qui voudra alors discuter avec ce monsieur ?
Pas plus
tard que jeudi dernier il estimait d'ailleurs dans un tweet de réponse à
France Inter que la nouvelle convention Unedic préservait tous les
droits et que «réouvrir des négociations n'offrait aucune garantie d'un
meilleur accord» :
Non, je n'ai rien contre la personne de Jean-Patrick Gille. Et puis
je suis optimiste : la renégociation de la convention aura peut-être
lieu. Elle aboutira peut-être à des avancées sociales non seulement pour
les intermittents mais pour tous les précaires en général. Elle
pourrait aussi prendre des formes inattendues, comme un projet de loi
d'initiative parlementaire – on peut rêver, à condition de ne pas se laisser endormir.
Bref, voilà ma question : pourquoi avoir choisi
comme négociateur dans ce dossier quelqu'un qui a déjà pris position
publiquement en faveur de l'agrément de la convention, c'est-à-dire
quelqu'un qui a déjà affiché clairement son soutien à l'une des parties
dans le conflit qu'il est censé gérer ? Était-ce un préalable pour être
nommé à la tête de la mission ? Si oui, quel est le sens de cette
mission qui prétend une fois de plus dialoguer autour d'une question qui
aurait déjà été tranchée ?
Voilà qui me semble au moins aussi inconcevable que d'appeler «dialogue social» des réunions qui ont eu
lieu dans les locaux du Medef, comme cela a été le cas pour cette
réforme.
http://blogs.mediapart.fr/blog/la-parisienne-liberee/080614/mission-intermittents