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[rue] Le rêve commun


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  • From: Gildas Puget < >
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  • Subject: [rue] Le rêve commun
  • Date: Wed, 18 Mar 2015 12:05:08 +0100

Je me rappelle d’une fin de matinée d’une clarté ensoleillée, en plein coeur de l'été, au Carmel, à Chalon. 
Dans le petit jardinet en hauteur, nichée entre les pierres, se tenait une réunion de la Faiar.
Une pile de plaquettes à la main, je cherchais les boîtes, ces fameuses boîtes de pros.
Un petit rituel sympa, des bouquets de plaquettes plantées dans des vases en carton, j’aime bien, ça déborde, c’est désespéré, inutile, conquérant, bordélique.
La Faiar par contre, je trouvais ça louche. 
Encore un truc des vieux grigous, qui veulent photocopier leur rue façon eigthies… une formation pour diriger une compagnie?
Ils en ont fait, une formation pour diriger leur compagnie, les formateurs?
J’allais passer mon chemin mais parmi les auditeurs, il y avait Djamel, des acidus. Ha, tiens, un frère de rue... C’était ptet intéressant quand même. 
Je jetais une oreille.

Je n’ai pas eu le temps de rester, mais j’ai attrapé au vol des statistiques sur les compagnies de rue qui m’ont frappé.
Je n’en ai plus la teneur exacte, pour moi ça reste dans ce genre: 50 pour cent des compagnies disparaissent au bout de deux ans, 75 pour cent au bout de cinq ans. Je n’avais pas réalisé l’incroyable turn-over de notre milieu.
Il y a des centaines de créations de compagnies, des milliers de nouveaux artistes qui émergent tout le temps.
Mais tout le monde dégage, et rares, très rares sont ceux qui durent.
Notre milieu est un milieu de jeunesse, de passage.
Mais nos anciens, et nos âges mûrs, sont très peu nombreux.
La difficulté croissante de tenir l’intermittence n’arrange rien.

Qui va se mobiliser pour un Cnar?
Le circassien de 23 ans qui monte son premier spectacle avec ses potes, la danseuse de 21, en duo avec son amoureux?
Le musicien de passage dans une compagnie, le technicien embauché pour l’occaze, l’étudiant jouant pendant ses vacances à Aurillac?
Ils s’en foutent du Cnar, ils ne savent pas ce que c’est, ils se disent que c’est un truc de vieux, un centre névralgique pour apparatchiks du réseau.
Normal.

J’y suis, au Cnar de Niort.
En plein dedans, dans cet immense espace, tout seul, ce matin.
Je culpabilise un peu d’écrire ce message… j’ai tellement de choses à faire.
Mais le silence morne de ces listes, ça me pèse, il faut que je vous dise tout ça, pour passer à autre chose.
Quand je suis arrivé, il y avait réunion des Cnars.
Tous. Ils étaient tous là, vous savez, les pontes.
Morizur, Songy, Jacob, Papelard, Aubry, Garcia, de Beaufort... heu… il m’en manque, bon je ne les connais pas tous.
J’aurais eu dix ans de moins, j’y serais arrivé dans le même état d'esprit qu’au Carmel à l'époque, pour la Faiar.
Maintenant je les vois comme ils sont.

Des individus, des citoyens. Des personnalités, des rêveurs, comme nous tous. Des femmes et des hommes qui se battent pour faire exister des boutiques comme ces Usines Boinot.
On pourrait penser que ce sont de grands cargos, rien du tout, ce sont de petits paquebots, des budgets insignifiants face à nos scènes nationales.
En pleine tempête, eux aussi. 
C’est sidérant, qu’on ne soit pas tous à leur côté, à se mobiliser pour que ça existe. C’est quand même fait pour nous?
On dirait que tout le monde s’en fout.
Je crois que c’est le cas.

Je prépare le terrain, en attendant le reste de l’équipe.
Le dos en vrac, je boitille pour aller chercher mon café dans cette immense sale, la Volière, un fantastique outil de travail pour les compagnies, modulable, coloré, parsemé de sculptures métalliques, de photos de compagnies, d’affiches de festivals.
Des traces de nous.
L’accueil ici est humain, chaleureux, attentif.
On se bouge pour vous donner tout ce dont vous avez besoin pour créer.
Tout est possible, en plein centre-ville, vous avez un budget, de l’espace, le savoir-faire, l’intelligence.

Tout seul dans la grande Volière, ce matin, je vous jure les amis, je me dis, quand même, c’est con.
C’est con qu’on ne se bouge pas plus ensemble. Combien d’entre nous auraient encore pu profiter de ce lieu unique?
Ecrire ses histoires avec cet outil?

Tant pis pour nous, c’est foutu.

Ce lieu, on l’a perdu.



















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