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[rue] vive l'entreprise culturelle !


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  • Subject: [rue] vive l'entreprise culturelle !
  • Date: Tue, 9 Apr 2019 02:46:01 +0200

les tournées des arts de la rue se préparent, à la faveur de la reprise de
saison.
les créations en théâtre pour la saison 19 20 sont dans la dernière ligne
droite.
Avignon, Aurillac s’annoncent en grandes pompes.
les productions 2020 sont dans les starting block des recherches de
coproducteurs, de résidences, de préachats
les déclarations fiscales s’enchainent, les déclarations de caisses sociales
trimestrielles arrivent.
tout le monde bosse à plein régime.
les décomptes des heures de chacun à l’arrivée des prochains renouvellement
de droit aux annexes 8 et 10 se font.

Et si nous imaginions nos métiers et nos actions sans l’intermittence du
spectacle?
après tout, le mois d’août 2019 sera marqué par la mise en oeuvre de la
réforme de l’assurance chômage et notre charmant ministère de la culture ne
trouve rien à redire à la position de Bercy, du ministère du travail et de
l’Elysée qui appellent à des grands changements de paradigmes dans le droit à
l’allocation chômage, bien confortés par les conclusions du Grand Débat !
Et comme apparement, au vu des mobilisations actuelles, tout le monde,
syndicats employeurs, employés, fédérations et les premiers concernés les
intermittents semblent encore un peu ailleurs concernant l’assurance chômage,
essayons d’imaginer l'automne 2019, au moment de l’application de la réforme
au 1er octobre. (allez, au pire en janvier)

Car puisque la question de la rémunération de chacun à la juste valeur de son
travail n’est pas le dogme actuel, contraint par un marché en crise, le
besoin de réinventer nos usages, de repenser nos métiers, de penser
coconstruction d’outils mutualistes rationalisant les couts de production,
d’agir dans le respect de droits culturels construits pourtant sur la logique
du marché de la culture, de la perspective libérale du multiculturalisme et
non sur un bien commun exclu du marché, puisque de toute façon on vous l’a
dit y a plus d’argent, il serait temps de faire preuve de notre capacité
d’imaginaire pour penser nos métiers sans notre protection sociale qui
pourtant d’un commun accord ou d’un fatalisme désenchanté au choix, participe
à notre capacité de créer nos spectacles, mener nos actions de territoires,
développer nos « entreprises culturelles ». Pole emploi n’est il pas notre
premier subventionneur à tous?

Alors, oui. apparemment en 2019 nous sommes désormais, compagnies et lieux de
diffusion, des entreprises.
Culturelles ou de machines à laver, peu importe. une entreprise culturelle
est une entreprise.
non plus une association. non plus un collectif. non plus une structure
juridique simplement soumise à des règles économiques similaires à une
entreprise. Mais bien une entreprise à part entière. si on excepte le fait
que pour une compagnie le gérant officieux reste un artiste directeur
artistique à qui on ne reconnait même pas ce droit de gérance officielle.
Il est vrai que nous n’avons a priori pas fait le saut du gérant désigné et
des actionnaires. mais une entreprise reste une entreprise.

Et quand bien même tous nos projets seraient jusqu’ici possible parce que les
créateurs de ces projets et ses artisans pouvaient se le permettre car
bénéficiant d’une protection sociale adaptée à leur métier et leur permettant
cet investissement humain dans des démarches non rentables, peu importe il
nous faut donc penser entreprise.

Ainsi : peu importe que le directeur artistique, le chargé de diffusion,
l’administrateur, l’artiste, le technicien, rejoignent la vie des auteurs
dans leur lutte pour une juste rémunération sans assurance chômage.
L’entreprise détermine le juste salaire au vu de ses contraintes financières.
l’implication de chacun ne tiendra plus à l’attachement au projet, au coup de
coeur pour une équipe artistique, mais bien au besoin de crouter, de trouver
du travail.
Quand l’entreprise dira tu sera payé tant, combien devront accepter. car
n’ayant plus rien en face.

Pourrons nous encore nous permettre des résidences de création payées 8, 6 ou
4 heures pour les plus chanceux par jour? sachant que cela tient à la
capacité de chacun de compter sur ses allocations chômage pour tenir le mois?
Pourrons nous demander des jours non payés pour des jours payés partant du
principe que les allocations financent nos créations et notre engagement?
Pourrons nous embarquer dans nos aventures des créateurs artistes ou
techniciens acceptant de donner du temps car protégés par la certitude de
leur rémunération socialisée si celle ci devait disparaître ou être
sérieusement rabougrie?
Pourrons nous continuer à dire à quelqu’un « part 4 jours en tournée, voyage,
montage, jeu, démontage, retour, pour le prix d’un cachet? »
(oui il y a des conventions collectives. et oui vous connaissez la réalité.)

nous avons fait grandir nos métiers, nos structures, notre secteur dans un
cadre de protection sociale qui permet notre activité économique.
Nous avons pu nous attarder sur nos politiques culturelles, sur notre Temps
des Arts de la Rue, sur nos COREPS, sur nos droits culturels, parce que nous
en avions le temps.
Nous avons pu amener des jeunes à faire le pari de ces vies parce que cette
protection sociale peut leur apporter l’espoir de ne pas faire le choix entre
la scène et la caisse de supermarché.
Nous avons pu construire notre activité collective car nous avons pu par
cette protection sociale créer la valeur économique qui permet l’emploi des
permanents indispensables, même précaires. (aviez vous noté qu’un service
civique n’est pas un emploi au fait?)
Nous avons pu construire une identité de secteur et de profession parce que
nous avons la chance de bénéficier de cette protection sociale, et de là
créer nos outils de lutte, de revendication. de combat. Sur des sujets de
fond et non de survie.
Les intérimaires ont ils la même capacité? les chômeurs du régime général?
Nous avons tellement vécu dans ce cadre que nous refusons de penser sans ce
cadre comme tétanisés par cette possibilité et de ce qu’elle impliquerait.

Mais peu à peu, il nous faut penser entreprise.
il nous faut développer. légitimer nos actions. penser communication,
produits. marketing. il nous faut intégrer les variables d’ajustements. il
nous faut considérer nos réalités comptables. il faut dresser des bilans.
justifier nos fonds.
il faut diversifier nos recettes. trouver de nouvelles sources de
financement. Faire du prototypage culturel...
il faut penser entreprise et donc rentabilité, croissance, développement…
concurrence, parts de marchés, fusions, acquisitions...

Peu importe car nous n’en avons plus moyens si nous devons tirer sur la corde
de nos salariés pour entreprendre. Faire plus avec pareil ou même moins.
ne plus écouter son collaborateur quand il doit boucler ses heures, quand il
lui manque des heures. quand on ne plus l’arranger. que la fiche de poste
s’allonge. que les missions s’allongent. la charge de travail augmente mais
pas le salaire.
Nous sommes une entreprise ! plus une structure sociale ni politique. les
réalités sociales de chacun ne doivent plus interférer avec nos objectifs !
Et s’il faut rationaliser, alors rationalisons. Avant nous mutualisions pour
tenir les couts, pour s'entraider. maintenant nous allons vers des centrales
de productions fournissant l’acte artistique à la demande… Et nous nous
réjouissons de répondre à la contrainte en jouant nous aussi le renversement
des normes, en mettant la logique comptable et de rentabilité avant le
produit fini : l’acte artistique.
après tout, il y a bien des artistes au RSA qui y arrivent, sans chômage,
sans FNAS, sans formations... alors dites donc? vous voyez pas besoin de
votre protection...

Et peu à peu, pris dans une époque qui nous surplombe, nous intégrons peu à
peu ces réalités libérales à nos métiers et nos structures pourtant portées
en principe sur l’humain.
nous les laissons venir à nous sous des formes bien dites, bien propres, bien
écrites, et parfois portées par les meilleurs d’entre nous.
et nous gérons nos entreprises peu à peu comme des SARL normales. promptes à
penser appels d’offres, marchés publics, et rentabilité. diversification des
marchés, investissements, marges, bénéfices...

et nous sortons la réalité sociale de nos équipes pour ne plus voir que des
collaborateurs salariés sous contrats.
Nous n’entendons plus celui qui peine, artiste ou technicien. plus de logique
de compagnie. plus de troupes.
des équipes missionnées au projet.
Combien de comédiens uniques à un spectacle, dans une compagnie? combien de
chargés de diffusion missionnés sur le temps d'un festival pour faire de la
comm et tenter le buzz? combien de nouveaux consultants en développement sur
le marché?
les experts culturels en communication, en vente, en structuration, en
optimisation prennent leurs aises..

le travail à long terme, l’investissement humain, le fait de se donner sur un
projet, au risque de se planter?
pas rentable. dépendant d’une protection sociale. dépendant d’un système qui
permet cela. dépendant d’une allocation chômage. une aumône désormais et non
plus un salaire socialisé.

Aujourd’hui symptôme de son temps, la fédération nationale des arts de la rue
va voter pour changer ses statuts. dans l’espoir d’intégrer les hautes
instances de décisions du dialogue social pourtant déboutées il y a peu par
le gouvernement qui ne rêve que de les faire disparaître à jamais... elle va
décider de jouer ce jeu là et de se transformer pour faire entrer dans ces
instances les structures, élues par elles mêmes dans leur propre collège.
les entreprises pourront représenter les entreprises et décider de ce qui est
le mieux pour les entreprises.
les individus n’auront décidément plus place dans l’industrie culturelle.

il va falloir innover pour entreprendre. et libérer nos énergies !
bon sang, il était temps que saute l’intermittence pour qu’enfin on devienne
un marché libre et non faussé un peu sérieux !

alors toi aussi en septembre revois tous tes budgets de création, de
fonctionnement, de festivals, tes prix de ventes de spectacle ! renégocie tes
apports en résidences, tes cessions ! parle avec tes institutions pour
essayer d’augmenter tes subventions ! car ne t’étonne pas si tes comédiens et
techniciens viennent te voir en te demandant un peu plus de salaires.
forcément : ils n’auront plus 3 jour non payés à te donner pour les 4 jours
de tournée que tu leur demandes.
ou alors : dis leur que d’autres cherchent du boulot s’ils ne sont pas
satisfaits de leur sort.
au choix.

et sinon : y a la lutte. plus que jamais indispensable. en CIP, en syndicats
(réveillons les), en Gilets Jaunes, ici et maintenant, et même à la
fédération. celles des arts de la rue et toutes les autres.
plus que jamais en fédérations. car quelles politiques culturelles trouveront
nous à défendre sans cette protection sociale? et qui d’ailleurs les défendra
et dans quel but quand les artistes et techniciens n’auront plus l’énergie de
les intégrer ces fédérations, pris par leur besoin impératif de survie…
politique culturelle et questions sociales n’ont jamais été séparés autrement
que par des postures qu’il nous faut changer et dont nous devons tous nous
saisir, individus permanents et intermittents, pro, amateurs et bénévoles,
acteurs de la culture et des arts d’aujourd’hui.
et si on te dit que rêver du Grand Soir c’est utopique, demande à quelle
moment durant ces 10 dernières années la journée a été belle.


David Cherpin

PS : moi aussi je connais une compagnie pour qui ça marche trop bien et que
c’est pas du tout ça...
mais je n'oublie pas les 10 autres qui sont mortes aussi.








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