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Re: [rue] vive l'entreprise culturelle !


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  • From: "Franck Halimi" ( via rue Mailing List) < >
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  • Subject: Re: [rue] vive l'entreprise culturelle !
  • Date: Tue, 9 Apr 2019 10:39:58 +0200

Salut, c'est Franck de Bourgogne.

Merci pour cette contribution (fort stimulante) au débat.

Ami calmant.

@+ Franck de B.

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les tournées des arts de la rue se préparent, à la faveur de la reprise de saison.
les créations en théâtre pour la saison 19 20 sont dans la dernière ligne droite.
Avignon, Aurillac s’annoncent en grandes pompes.
les productions 2020 sont dans les starting block des recherches de coproducteurs, de résidences, de préachats
les déclarations fiscales s’enchainent, les déclarations de caisses sociales trimestrielles arrivent.
tout le monde bosse à plein régime.
les décomptes des heures de chacun à l’arrivée des prochains renouvellement de droit aux annexes 8 et 10 se font.

Et si nous imaginions nos métiers et nos actions sans l’intermittence du spectacle?
après tout, le mois d’août 2019 sera marqué par la mise en oeuvre de la réforme de l’assurance chômage et notre charmant ministère de la culture ne trouve rien à redire à la position de Bercy, du ministère du travail et de l’Elysée qui appellent à des grands changements de paradigmes dans le droit à l’allocation chômage, bien confortés par les conclusions du Grand Débat !
Et comme apparement, au vu des mobilisations actuelles, tout le monde, syndicats employeurs, employés, fédérations et les premiers concernés les intermittents semblent encore un peu ailleurs concernant l’assurance chômage, essayons d’imaginer l'automne 2019, au moment de l’application de la réforme au 1er octobre. (allez, au pire en janvier)

Car puisque la question de la rémunération de chacun à la juste valeur de son travail n’est pas le dogme actuel, contraint par un marché en crise, le besoin de réinventer nos usages, de repenser nos métiers, de penser coconstruction d’outils mutualistes rationalisant les couts de production, d’agir dans le respect de droits culturels construits pourtant sur la logique du marché de la culture, de la perspective libérale du multiculturalisme et non sur un bien commun exclu du marché, puisque de toute façon on vous l’a dit y a plus d’argent, il serait temps de faire preuve de notre capacité d’imaginaire pour penser nos métiers sans notre protection sociale qui pourtant d’un commun accord ou d’un fatalisme désenchanté au choix, participe à notre capacité de créer nos spectacles, mener nos actions de territoires, développer nos « entreprises culturelles ». Pole emploi n’est il pas notre premier subventionneur à tous?

Alors, oui. apparemment en 2019 nous sommes désormais, compagnies et lieux de diffusion, des entreprises.
Culturelles ou de machines à laver, peu importe. une entreprise culturelle est une entreprise.
non plus une association. non plus un collectif. non plus une structure juridique simplement soumise à des règles économiques similaires à une entreprise. Mais bien une entreprise à part entière. si on excepte le fait que pour une compagnie le gérant officieux reste un artiste directeur artistique à qui on ne reconnait même pas ce droit de gérance officielle.
Il est vrai que nous n’avons a priori pas fait le saut du gérant désigné et des actionnaires. mais une entreprise reste une entreprise.

Et quand bien même tous nos projets seraient jusqu’ici possible parce que les créateurs de ces projets et ses artisans pouvaient se le permettre car bénéficiant d’une protection sociale adaptée à leur métier et leur permettant cet investissement humain dans des démarches non rentables, peu importe il nous faut donc penser entreprise.

Ainsi : peu importe que le directeur artistique, le chargé de diffusion, l’administrateur, l’artiste, le technicien, rejoignent la vie des auteurs dans leur lutte pour une juste rémunération sans assurance chômage.
L’entreprise détermine le juste salaire au vu de ses contraintes financières.
l’implication de chacun ne tiendra plus à l’attachement au projet, au coup de coeur pour une équipe artistique, mais bien au besoin de crouter, de trouver du travail.
Quand l’entreprise dira tu sera payé tant, combien devront accepter. car n’ayant plus rien en face.

Pourrons nous encore nous permettre des résidences de création payées 8, 6 ou 4 heures pour les plus chanceux par jour? sachant que cela tient à la capacité de chacun de compter sur ses allocations chômage pour tenir le mois?
Pourrons nous demander des jours non payés pour des jours payés partant du principe que les allocations financent nos créations et notre engagement?
Pourrons nous embarquer dans nos aventures des créateurs artistes ou techniciens acceptant de donner du temps car protégés par la certitude de leur rémunération socialisée si celle ci devait disparaître ou être sérieusement rabougrie?
Pourrons nous continuer à dire à quelqu’un « part 4 jours en tournée, voyage, montage, jeu, démontage, retour, pour le prix d’un cachet? »
(oui il y a des conventions collectives. et oui vous connaissez la réalité.)

nous avons fait grandir nos métiers, nos structures, notre secteur dans un cadre de protection sociale qui permet notre activité économique.
Nous avons pu nous attarder sur nos politiques culturelles, sur notre Temps des Arts de la Rue, sur nos COREPS, sur nos droits culturels, parce que nous en avions le temps.
Nous avons pu amener des jeunes à faire le pari de ces vies parce que cette protection sociale peut leur apporter l’espoir de ne pas faire le choix entre la scène et la caisse de supermarché.
Nous avons pu construire notre activité collective car nous avons pu par cette protection sociale créer la valeur économique qui permet l’emploi des permanents indispensables, même précaires. (aviez vous noté qu’un service civique n’est pas un emploi au fait?)
Nous avons pu construire une identité de secteur et de profession parce que nous avons la chance de bénéficier de cette protection sociale, et de là créer nos outils de lutte, de revendication. de combat. Sur des sujets de fond et non de survie.
Les intérimaires ont ils la même capacité? les chômeurs du régime général?
Nous avons tellement vécu dans ce cadre que nous refusons de penser sans ce cadre comme tétanisés par cette possibilité et de ce qu’elle impliquerait.

Mais peu à peu, il nous faut penser entreprise.
il nous faut développer. légitimer nos actions. penser communication, produits. marketing. il nous faut intégrer les variables d’ajustements. il nous faut considérer nos réalités comptables. il faut dresser des bilans. justifier nos fonds.
il faut diversifier nos recettes. trouver de nouvelles sources de financement. Faire du prototypage culturel...
il faut penser entreprise et donc rentabilité, croissance, développement… concurrence, parts de marchés, fusions, acquisitions...

Peu importe car nous n’en avons plus moyens si nous devons tirer sur la corde de nos salariés pour entreprendre. Faire plus avec pareil ou même moins.
ne plus écouter son collaborateur quand il doit boucler ses heures, quand il lui manque des heures. quand on ne plus l’arranger. que la fiche de poste s’allonge. que les missions s’allongent. la charge de travail augmente mais pas le salaire.
Nous sommes une entreprise ! plus une structure sociale ni politique. les réalités sociales de chacun ne doivent plus interférer avec nos objectifs !
Et s’il faut rationaliser, alors rationalisons. Avant nous mutualisions pour tenir les couts, pour s'entraider. maintenant nous allons vers des centrales de productions fournissant l’acte artistique à la demande… Et nous nous réjouissons de répondre à la contrainte en jouant nous aussi le renversement des normes, en mettant la logique comptable et de rentabilité avant le produit fini : l’acte artistique.
après tout, il y a bien des artistes au RSA qui y arrivent, sans chômage, sans FNAS, sans formations... alors dites donc? vous voyez pas besoin de votre protection...

Et peu à peu, pris dans une époque qui nous surplombe, nous intégrons peu à peu ces réalités libérales à nos métiers et nos structures pourtant portées en principe sur l’humain.
nous les laissons venir à nous sous des formes bien dites, bien propres, bien écrites, et parfois portées par les meilleurs d’entre nous.
et nous gérons nos entreprises peu à peu comme des SARL normales. promptes à penser appels d’offres, marchés publics, et rentabilité. diversification des marchés, investissements, marges, bénéfices...

et nous sortons la réalité sociale de nos équipes pour ne plus voir que des collaborateurs salariés sous contrats.
Nous n’entendons plus celui qui peine, artiste ou technicien. plus de logique de compagnie. plus de troupes.
des équipes missionnées au projet.
Combien de comédiens uniques à un spectacle, dans une compagnie? combien de chargés de diffusion missionnés sur le temps d'un festival pour faire de la comm et tenter le buzz? combien de nouveaux consultants en développement sur le marché?
les experts culturels en communication, en vente, en structuration, en optimisation prennent leurs aises..

le travail à long terme, l’investissement humain, le fait de se donner sur un projet, au risque de se planter?
pas rentable. dépendant d’une protection sociale. dépendant d’un système qui permet cela. dépendant d’une allocation chômage. une aumône désormais et non plus un salaire socialisé.

Aujourd’hui symptôme de son temps, la fédération nationale des arts de la rue va voter pour changer ses statuts. dans l’espoir d’intégrer les hautes instances de décisions du dialogue social pourtant déboutées il y a peu par le gouvernement qui ne rêve que de les faire disparaître à jamais... elle va décider de jouer ce jeu là et de se transformer pour faire entrer dans ces instances les structures, élues par elles mêmes dans leur propre collège.
les entreprises pourront représenter les entreprises et décider de ce qui est le mieux pour les entreprises.
les individus n’auront décidément plus place dans l’industrie culturelle.

il va falloir innover pour entreprendre. et libérer nos énergies !
bon sang, il était temps que saute l’intermittence pour qu’enfin on devienne un marché libre et non faussé un peu sérieux !

alors toi aussi en septembre revois tous tes budgets de création, de fonctionnement, de festivals, tes prix de ventes de spectacle ! renégocie tes apports en résidences, tes cessions ! parle avec tes institutions pour essayer d’augmenter tes subventions ! car ne t’étonne pas si tes comédiens et techniciens viennent te voir en te demandant un peu plus de salaires.
forcément : ils n’auront plus 3 jour non payés à te donner pour les 4 jours de tournée que tu leur demandes.
ou alors : dis leur que d’autres cherchent du boulot s’ils ne sont pas satisfaits de leur sort.
au choix.

et sinon : y a la lutte. plus que jamais indispensable. en CIP, en syndicats (réveillons les), en Gilets Jaunes, ici et maintenant, et même à la fédération. celles des arts de la rue et toutes les autres.
plus que jamais en fédérations. car quelles politiques culturelles trouveront nous à défendre sans cette protection sociale? et qui d’ailleurs les défendra et dans quel but quand les artistes et techniciens n’auront plus l’énergie de les intégrer ces fédérations, pris par leur besoin impératif de survie…
politique culturelle et questions sociales n’ont jamais été séparés autrement que par des postures qu’il nous faut changer et dont nous devons tous nous saisir, individus permanents et intermittents, pro, amateurs et bénévoles, acteurs de la culture et des arts d’aujourd’hui.
et si on te dit que rêver du Grand Soir c’est utopique, demande à quelle moment durant ces 10 dernières années la journée a été belle.


David Cherpin

PS : moi aussi je connais une compagnie pour qui ça marche trop bien et que c’est pas du tout ça...
mais je n'oublie pas les 10 autres qui sont mortes aussi.






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