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Re: [rue] (Street Fiction) - Ils ont maintenu -


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  • From: Aurélie Picard ( via rue Mailing List) < >
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  • Subject: Re: [rue] (Street Fiction) - Ils ont maintenu -
  • Date: Sat, 18 Apr 2020 18:55:33 +0000 (UTC)

Bonjour,

oh oui, chiche !
Pendant que les artistes se transforment en Youtubeurs dans leur salon, dans la rue pour l'instant, on risque d'avoir droit à ça:  Ces policiers danseurs ont mis de l'ambiance dans les rues désertes d'Andorre


La police qui nous régente sur les festivals sous couvert de lutte contre le terrorisme et qui tente maintenant de faire votre job ! C'est une conspiration en fait ce confinement, une magouille à grande échelle ! ils veulent votre place et vos rues ! on les pousserait pas un peu ?
Il y a concurrence déloyale là. C'est un métier tout de même.
Peut être bien qu'il a raison Paul de Pontoise, je vais passer le concours !

On pourrait faire des fixes aussi, oui !
Il y a des quartiers avec des barres d'immeubles avec un paquet de fenêtres qui valent bien un gradin, ou habitent des toujours moins vernis sans jardin. Ben là, tous au théâtre aux premières loges dans un fauteuil !
Sur une place entourée d'immeubles, du circulaire pour les circassiens  ...
Et puis du théâtre masqué pour respecter les recommandations ...
Que des géants envahissent une ville vide ...

Et me voilà qui souris, qui gamberge,... je fantasme à ma façon vos fictions partagées, je m'évade de mon canapé :)

Merci Chtou,
J'suis fan !

Aurélie


Le samedi 18 avril 2020 à 10:45:28 UTC+2, Chtou Gildas puget < > a écrit :


C’est Dominique, à La Rochelle, qui a eu l’idée le premier.

Il m’a appelé un soir, avec son air d’avoir un projet sympa derrière la tête.

— Tu pourrais jouer dans une rue vide, pour les gens au balcon?


On était au creux de la vague, en pleine catastrophe, le président venait de nous condamner jusqu’à la mi-juillet (nous ne savions pas encore que cela irait plus loin), le ministre de dire le contraire, on nous parlait, à nous, de chômage partiel, bref, c’était la mouise habituelle et on n’y comprenait rien.

Les artistes de rue désespérés se prenaient pour des youtubeurs et toute dignité était abandonnée. Ces même artistes autrefois rares, magiques et fugaces, nous exposaient soudainement, désœuvrés, leur intimité banale et un degré de médiocrité à la hauteur des ambitions artistiques de Facebook. Nous vivions dans un champ de ruine.


Emilie a le rôle crucial dans notre compagnie, c’est la chargée de diff. Et c’est aussi ma compagne. 

Habituellement quand elle rentre d’une soirée de boulot, j’ai l’élégance de ne pas poser de questions, et nous attendons savoureusement le moment du repas pour parler de sa journée. Elle me lâche quelques bonnes nouvelles; une nouvelle option qui se profile, un contrat de signé avec untel, un partenaire intéressé pour nous prendre en résidence à l’autre bout de la France, un festival qui se cale entre deux dates, sur le trajet…

Depuis deux semaines, elle passait la porte, arrachait ses chaussures et balançait d’un souffle les deux ou trois annulations de la journée.

Elle voyait s’écrouler inexorablement une quantité phénoménale d’heures de téléphone, de négociations par courriel, de préparations minutieuses et d’espoirs de tournée. D’un message solidairement lapidaire, on anéantissait son travail. 

Annuler nos revenus c’était dur. 

Annuler notre futur, c’était désespérant.


Alors quand Dominique m’a demandé ça, immédiatement, je lui ai répondu

— Mais bien sûr que je peux jouer pour une rue, ce que tu veux quand tu veux, mais jouer, jouer, jouer!!!


Nous avons choisi une rue piétonne, et j’étais juste à pied, en costume avec une sono portative. 

Le temps était magnifique en ce printemps 2020, j’avais déjà perdu tellement de dates, j’étais au comble de l’excitation, un sourire aux lèvres, mon micro à la main. Enfin, redevenir utile. Alors je me suis… déchaîné. 

Rapidement, les gens sont sortis sur les balcons, je les invectivais, je les chauffais, j’avais dans la caboche des poèmes, des envolées lyriques, des chansons d’amour, et je me suis lancé dans un slam d’une heure et demie, une ode à l’humanité, à la nature, à la liberté, nous nous sommes tous chauffé au bois de nos espoirs, de nos solidarités, les gens applaudissaient, frappaient les casseroles, chantaient ensemble. 

Quand j’ai salué pour partir, une rue entière ovationnait aux balcons.


En sueur, heureux à en bondir sur place, j’ai rejoint Dominique. Il était ravi, les yeux pétillants et un grand sourire aux lèvres. Si ce con de photographe local n’avait pas été là, on se serait serré dans les bras en se foutant des gestes-barrières.


Son festival était annulé, mais les subventions étaient attribuées. La semaine suivante, on est revenus avec notre Procession Data. 

Nous avons un ordinateur portable géant, construit comme un char-scène, et nous sommes six comédiens masqués, un spectacle en mouvement très visuel et sonore, sur le big data.

Je crois encore aujourd’hui que c’était la meilleure déambule de notre vie. 

On pouvait manœuvrer à loisir dans la rue dégagée (l’autorisation préfectorale n’avait pas été bien difficile à obtenir), et puis c’était tellement visuel d’être vus du haut! À renfort de discours, on pouvait secouer le cœur des gens, ils étaient si heureux, confinés dans leurs apparts du centre-ville, d’avoir droit à un peu de spectacle vivant!

Pas mal d’images ont été faites, notamment par la TV locale, et c’est à ce moment-là qu’il y a eu un déclic.


Ces fameuses déambulations, que tant de programmateurs avaient boudées, étaient le format de spectacle de rue idéal pour la période. En un rien de temps, tous les petits événements ont suivi. 

Le succès de l’idée circulait à la vitesse où s’embrase une trainée de poudre. Nous pouvions arpenter les rues, et les gens assistaient au spectacle en sécurité. La rue, tout simplement, comme théâtre. Cela nous connaissait.


Début mai, toutes les déambules de France sinuaient dans les rues des villes et des villages. Et puis on s’est mis à rivaliser d’inventivité.

À Marseille, il y a eu un spectacle en deux parties, la rue côté paire regardait de la danse verticale sur le versant impair, puis les rôles s’inversaient.

À Beauvais, des plasticiens peignaient le bitume de motifs et de messages à l'intention des habitants.

À Lorient, une équipe a loué une nacelle chez Kiloutou. Pour une poignée d’euros, ils disposaient d’une scène mobile, qui pouvait jouer à hauteur de balcon pour les gens, et qui se promenait toute la journée dans la ville.

Les spectacles fixes sont revenus dans la partie.


Soudain, tout redevenait possible, plus aucune annulation n’était justifiée.

Ceux qui maintenaient emportaient un succès fou, les autres passaient pour ce qu’ils étaient : des trainards. On pouvait jouer.


Alors quand Aurillac a dû trancher sur l’annulation ou non, les discussions ont été chaudes, au bureau du festival. Il y avait eu trop de demandes, trop de compagnies pour les lieux disponibles, c’était vrai. Mais à présent, avec cette nouvelle donne… 

C’était toute la ville qui redevenait le lieu. Donc, le lieu était immense.

Et on disposait des centaines de compagnies prêtes à venir jouer pour réchauffer les cœurs des habitants, qui n’en pouvaient plus.

Ils ont maintenu.

L’édition d’Aurillac 2020 est devenue le plus gros festival déambulatoire du monde. Une sorte de jeu du serpent artistique à l’échelle d’une ville. Je revois la bouille de cet auvergnat, sur France 2, qui disait : «Ha bha ça, on le retrouve notre téat de rue!»


Après coup, je ne suis pas surpris.


Pas surpris que ce soient les Arts de la rue qui aient pu s’en sortir, quand tous les autres s’effondraient. Qui mieux qu’eux pouvaient s’adapter?

Ils avaient toujours eu tout ce que la situation exigeait :

La générosité, le talent, l’inventivité, la capacité de rebond, des équipes adaptables, l’expérience d’avoir comme public tous les habitants et pas seulement des abonnés, d’accommoder les créations pour qu’elles évoluent en fonction de tel ou tel espace public… nous avions tout cela, nous en étions même les experts.


Aujourd’hui, nous sommes plus forts que jamais.

Pas seulement parce que nous avions tout pour y arriver, 

Pas seulement parce que nous avons été assez réactifs.

Parce que nous avons été solidaires, organisateurs et équipe, pour ensemble tout réinventer.







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