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Re: [rue] Pourquoi il faut en finir avec l'Emergence


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  • Subject: Re: [rue] Pourquoi il faut en finir avec l'Emergence
  • Date: Thu, 27 Apr 2023 07:14:46 +0200
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merci pour ce texte
en 2012 j'ai entendu ce mot dans la bouche de Jean Digne, à Audincourt devant un parterre d'aspirants à l'air libre
et je me suis dit : je resterais donc immergé
en 2014 un conseiller RSA de Marseille chargé de mon dossier "artiste" m'a dit "vous êtes dans la catégorie endurant à l'insuccès".
J'ai arrêté de rire de ces humiliations et je les prends depuis pour ce quelles sont.
Je reste en sous marin.

Tu dis juste et je retiens (pour le xilo-glossaire de Jean-George Tartare, puisqu'il faut bien continuer à le remplir) : l'émergence c'est l'autre nom de la concurrence dans le secteur culturel. (après le mot territoire bien sûr).



Le lun. 24 avr. 2023 à 10:03, cie albedo < "> > a écrit :
Bonjour
putain de texte, mon David…éclairant.
Dans ce métier, ou on est émergeant a chaque création…
Après, si tu n’as pas tout déchirer,  tu es son contraire dans le dictionnaire:
sombrant, coulant, disparaissant, plongeant, s’abimant, s’enfonçant, se noyant, se perdant, périssant…
Dans la start up nation, on ne verra jamais la case à cocher dans les dossiers de demande d’aide institutionnelle.
Condamnés à la croissance éternelle ou la mort, comme le reste de ce monde capitaliste...
Steff Albedo


Ou comment défendre l'émergence tue nos imaginaires pour nous enchainer.

Ou la colonisation de notre Création par l'assimilation au dominant.


On a beau jeu de défendre les droits culturels qui sont censés reconnaître la capacité de chacun de faire culture quand on se borne à vouloir faire rentrer toute nouveauté dans le moule.

Dans la grande histoire de la tarte à la crème qu'est celle de la Culture, l'Emergence....


C'est toujours drôle de se demander : « En fait, depuis quand on parle comme ça ?».

Alors demandons nous  depuis quand nous parlons d'Emergence. Vraiment ?

Pas à la marge, pas comme un phénomène sociologique, pas comme un constat sur quelque chose qui pointerait dans l'espace social et créatif de notre milieu mais comme une étiquette, comme une case, comme une chose normative qui permette de donner une identité repérable et définissable à des créateurs et créatrices qui a priori, n'avaient rien demandé ?

1980 ? 2000 ? 2010 ? 2020 ?

Depuis quand je coche la case « Cie Emergente » dans un dossier de subventions ?

Avec fond dédiés et attention particulière apportée par des institutions soucieuses de la reconnaître ?


Pas plus de 10 ans. Maximum.

Techniquement je serais censé pouvoir dire :

Je me souviens de ce grand mouvement revendicatif qui a exigé de la part du secteur de se faire reconnaître. De faire valoir son identité et de la faire nommer. Je me souviens de toutes ces compagnies réunies et pensant ensemble sur leur état, sur leur développement, sur leur envies au long terme et venant frapper aux portes des institués pour réclamer cette dénomination comme une avancée sociale majeure à leur service. Comme une reconnaissance de leur Droit à Créer.

Mais au lieu de cela, j'écrirai plutôt, et de manière bien plus factuelle :

Je me rappelle avoir peu a peu intégré un mot pour évoquer des situations et des niveaux de développement de créateurs et créatrices qui me permettait de leur donner une valeur sur une échelle de production.

Je me rappelle avoir commencé, même avec second degré et humour noir, a avoir utilisé ce terme pour parler de compagnies, de personnes, afin de structurer une stratégie de développement de leur acte créatif au travers d'une production aux étapes financières établies.

Je me rappelle avoir commencé à pouvoir dire : je défends l'émergence.


C'était vachement bien.

Hyper motivant et surtout hyper valorisant pour un administrateur chargé de développement qui ayant désormais les clefs du droit à créer face aux artistes, pouvait par là légitimer sans sourciller ce qu'il serait bien plus honnête de nommer : son Pouvoir de Laisser Créer.


Et c'est drôle de voir que la majorité des réflexions qui se partagent sur la question tournent autour de « on en sort quand de l'émergence du coup ? », ou encore « ça veut dire quoi ? C'est quoi les critères ? »


Comme un carcan que l'on accepte de supporter, en attendant d'en être libéré.


L'émergence n'existe que comme étape de développement. Comme l'enfance, l'adolescence...

Elle n'est qu'une période de temps définie par les adultes que sont les structures culturelles instituées pour déterminer les passages obligés des structures avant d'obtenir son droit à l'autonomie, l'indépendance, et peut être la reconnaissance.

Mais si l’analogie permet de visualiser facilement le déroulé, elle n'est plus pertinente dès lors que l'on se souvient que nous ne parlons pas d'humains, mais de structures économiques.

Et donc de carcans financiers et économiques dans un système marchand codifié.


Couveuses, incubateurs, dispositifs de transmission, d'accompagnement. Pérennisation. Développement. Validation par les pairs. Reconnaissance du marché.

Trouve ton idée, développe ton concept, lance la sur le marché et réunit les investisseurs. Motive, communique, convainc, vend.


Le marché à ses règles, ses codes, ses cadres. Il attend de toi que tu le laisses s'assurer que tu fais partie du jeu avant de te laisser entrer. Et ce vocabulaire de start-up est absolument celui que nous appliquons déjà au quotidien.


Nos compagnies, lieux, festivals, structures de création sont des structures économiques. Notre diffusion est un marché. Rien de nouveau : nous participons au PIB, générons de l'emploi, de la richesse et rapportons aux territoires financièrement.

Cette réalité est admise et éprouvée depuis des décennies.

On se tord derrière nos valeurs humaines, mais in fine, ce sont ces éléments là que nous mettons sans cesse en avant dans toutes nos luttes. En manif, en grèves, en blocages, pour l'intermittence, pour défendre nos subs, pour défendre notre secteur.

On sait très bien que la valeur de la relation humaine se traduit mal en projet politique. Alors on se sert des codes de l'adversaire pour défendre notre beefsteak. Normal.


Mais alors une étiquette de plus ou de moins, c'est quoi le problème ?

Surtout si derrière on arrive à faire créer par l'institution des cadres de financements publics dédiés. Surtout si derrière on développe des plateformes de diffusion, de visibilité pour les émergents afin de les rencontrer et de les aider...

C'est quoi qui fait que quand je dis « je défends l'émergence », j'ai toujours une arrière pensée qui rigole et s'esclaffe...


La question à se poser c'est : c'est quoi le résultat de cette défense de l'émergence ?

Combien de compagnies émergées ?

Combien de retours arrières sur la pertinence de cette case ?

Qui en est sorti ?

Et les autres ? Ils sont ou ?


Ils sont où ceux qui ne sont pas dans la case, ceux qui n'y sont plus et ceux qui n'y entrent pas ?

Car, si peut être quelque part il y a sortie de la case pour un avenir radieux, c'est qu'il faut bien y être entré.


Il est là le problème. Il faut entrer dans l'émergence pour pouvoir en sortir.

L'adolescence, c'est une étape obligatoire du développement d'un être humain, du fait même de son avancée en âge. Quand bien même les pressions sociales et injonctions éducatives seraient inexistantes, cette étape existerait toujours, sous une forme ou une autre.


Mais pour une structure économique, elle ne peut être qu'issue d'une règle exogène lui étant imposée si elle présente sa prétention à intégrer un ensemble codifié.

Les compagnies émergentes ne le sont que parce que l'ensemble du secteur a décidé qu'elles devaient passer par cette étape. Etape que celui ci du coup a normé, codifié, afin d'en maitriser le déroulé, sa notation et sa validation.


Quand je défends l’émergence, je défends un secteur qui s'est donné les cadres structurels pour juger du droit à faire partie de ce secteur. Je suis le garde frontière du Dedans. Face au Dehors.

Quand j'accompagne une compagnie que je qualifie d'émergente, je suis le contrôleur de son développement, de sa conformation a des attendus, de sa rentrée dans le moule pour obtenir le droit à participer au secteur, le droit d'y amener ses propositions, le droit de créer.


L'adolescence, c'est un espace d'expérimentation. Encadré mais pas dirigé. Débordant, libre, tumultueux, foutraque. Fait de tout et n'importe quoi. Encouragé à tester, dépasser ses limites. encouragé à découvrir, expérimenter, essayer.

Soutenu par un cadre protecteur, vigilant, posé à l'enfance, pour intervenir a posteriori.

Un espace qui amène vers une identité adulte propre, construite, et prenant sa place dans un ensemble commun ouvert à son identité et l'intégrant sans la transformer. S'en enrichissant.


Notre émergence, notre adolescence,

C'est notre service national, notre ENA, notre école d'ingénieur.

C'est notre saisie de leurs débordements pour les conformer. Les amener à nous ressembler. À transmettre nos codes. À les mouler dans nos identités. Pour en faire nos dignes successeurs.

Et c'est l’assèchement de leur pensée.

En conformant le chemin de leur création, nous privons les compagnies de leurs espaces libres d'expérimentations.

Nous tentons de conformer leurs productions aux attendus. Nous les amenons dans le cycle de la rencontre pro, du discours efficient, de la forme diffusable, de la pratique à la mode, de l'action de médiation reconnue, de la reconnaissance des anciens comme sachant indépassables..

De croire aux mirages de briser les plafonds de verres comme utopie légitimant la patience, le travail, l'entêtement à faire ce que l'on ne souhaite pas en attendant que ça vienne.

Une aliénation aux codes asséchant nos envies de création comme actes de débordements.


En codifiant l'émergence, nous asséchons l'espace d'expérimentation adolescent. Celui qui nourrit l'adulte. Celui qui fait culture commune.

Nous asséchons les révoltes, les contre culture.

Nous réduisons la capacité même de contre culture.

Ou est notre culture underground ? Notre mouvement en opposition ?

Ou sont nos contestataires ? Nourris par des essais, par des tentatives, par des écrits, par des performances, par des prises de contrôle, par des déstabilisations, par des actes artistiques créant des mouvement de fond.


Perdue dans le mirage de l'intégration, la compagnie émergente n'invente plus, ou qu'à la marge. Elle n'ose plus, tenue par le regard des institués, qui savent, qui jugent et cooptent. Et qui financent.

Il n'existe aucune horizontalité, aucun accompagnement, aucune solidarité dans l'émergence.

Seulement un joug que nous avons collectivement coconstruit pour rajouter à l'emprise de la culture monolithique au service de l'individu entrepreneur.

Et qui nous donne bonne conscience d'avoir, par ces dispositifs, par ces repérages, par ces injonctions là, renforcé l'emprise de la concurrence, du marché, de l'économie, sur ce qui est d'abord en principe pour un artiste un chemin de vie.

Nous sommes encore dépassés par un mot sans en comprendre combien il nous enferme dans l'éternelle verticalité dominante de la politique publique, fait du Roi, Culture Monarchique héritée et reproduite.


Il n'y pas d'émergence car il n'y a pas d'adolescence des structures économiques.

Elles ne sont que concurrence. Et sous pretexte de vouloir éduquer les créateurs et créatrices pour les conformer à notre Culture d'Etat, nous avons réussi à nommer joliment une concurrence acharnée entre les compagnies, une lutte pour ses moyens de subsistances, et une lutte pour Créer, comme chaque individu sait pourtant naturellement le faire.

Nous avons codifier l'acte de création pour en limiter l'exercice aux heureux titulaire du titre d'émergent, rejetant de fait tous les autres aux limbes de la précarité et l'oubli.

Au point même de devoir désormais nommer les Ultra-émergents. Comme ceux et celles qui aujourd'hui n'en sont même pas au point de pouvoir demander leur entrer dans le cercle des apprenants en émergence.

Pour leur donner une visibilité.


Et c'est encore une erreur de pensée que de faire cela. Si on n'en finit pas avec l'émergence.


Je défends l'émergence, puisque ce mot est là.

Mais si ma petite voix s'esclaffe en dedans face à cette honteuse grossièreté, c'est pour me forcer à dire à la place qu'il n'existe pas d'émergents et n'en existera jamais, mais que ce que je défens, c'est que tous ces créateurs et créatrices ont le Droit de Créer, que je ne suis pas prescripteur de qui en aura la possibilité

Que si l'on souhaite véritablement soutenir le plus grand nombre, alors ce que l'on défend quand on parle de ces émergents c'est avant tout et même seulement le partage des richesses.


Donner à chacun les moyens de sa création. Laisser grandes ouvertes les portes de l'expérimentation, de la performance, de la culture différente, de la contre culture.

C'est réclamer que nous pensions collectivement à faire sans restreindre, sans prescrire, sans autoriser la bonne création de la mauvaise, et penser massivement que nous pourrions réellement fonctionner différemment.

C'est défendre nos outils de production pour qu'ils servent le grand nombre et pas une élite désignée.

Arrêter de faire peser sur nos métiers des valeurs humaines que nous ne traduisons pas et les défendre comme ce qu'ils sont: des métiers vecteurs de richesses économiques, à se partager, au sein d'un service public qui lui est seul garant de ses valeurs.

Un service public libéré de cette culture monarchique, de son monarque, et de sa vision individualiste et entrepreneuriale qui sous couverts de jolis concepts, soutiens l'indéfendable.


Je ne défends pas l’émergence pour assister au parcours insupportable de jeunes créateurs et créatrices rendus au RSA souriant face aux programmateurs et programmatrices joyeusement réunis se félicitant de leur trouvailles artistiques et y allant de leurs conseils au développement.

Je ne défends pas l'émergence pour donner à une personne un droit de créer. Quand celle ci le ferait déjà si elle n'était pas prisonnière de ce mirage de la Culture soit disante émancipatrice de l'être.

Je ne défends pas l'émergence car je ne sais toujours pas si j'en suis moi même sorti. Qui me donne mon diplôme quand mon apprentissage en 2000 ne couvre plus rien de ce qu'est notre monde aujourd'hui. Quel droit ais je de juger des heureux élus à la précarité infinie ?


Je défends le droit de créer, le droit à la rue, le droit à faire autrement.

Et il est urgent que notre culture underground explose au grand jour. Il est urgent de retrouver cette explosion artistique et militante débordante et incontrôlée. Il est urgent de rouvrir toutes nos portes à qui veut les franchir. Et de tout leur donner.

Il est urgent de démissionner collectivement de nos absolus et de nos certitudes, nous les institués, pour retrouver le simple exercice de nos métiers.


Arrêtons de parler d'émergents. Et nommons les comme ils le sont : pauvres économiquement, précaires, isolés...

mais toujours d'une formidable capacité de Créer.

Quand bien même certains voudraient leur refuser ce Droit.


David Cherpin



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