Salut c'est Franck de Bourgogne.
Ce message pour vous inciter à lire ci-dessous l'entretien passionnant entre le journaliste Emmanuel Lévy et l'économiste Frédéric Lordon à propos d'une souhaitable fermeture de la Bourse : Lordon est décidément un homme intelligent et intelligible... : Frédéric
Lordon : «il faut fermer la Bourse!» www.marianne2.fr
Voili.
@+ Franck de B. ---------- "Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs." DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN - 1793 Article 35. ------------------------------
Emmanuel
Lévy - Marianne | Lundi 8 Mars 2010 à 05:01 | Lu 36503 fois Dans
un long papier paru dans le Monde Diplomatique vous préconisez la
fermeture de la Bourse. Est-ce vos options politiques de dangereux
gauchiste désireux de couper des têtes, ou vos motivations
s’inspirent-elles d’une argumentation compatible avec un monde
capitaliste ? Les
idéologues libéraux, qui ont l’amnésie intéressée, voudraient
faire oublier cette période du fordisme dans laquelle la finance a
été cadenassée, la Bourse inexistante… et la croissance
étincelante. Or que je sache, le fordisme, ça n’était pas le
Gosplan ni les soviets mais bien le capitalisme. Mais la vraie
réponse à cette question est ailleurs. Elle consiste à dire que,
dans la logique même des entreprises d’aujourd’hui, la Bourse
est une aberration : 1)
les entreprises vont moins s’approvisionner en capital à la Bourse
qu’elles n’y vont s’en faire dépouiller, puisque ce que les
actionnaires leur extorquent (en dividendes et en rachat d’actions)
finit par l’emporter sur ce qu’ils leur apportent, de sorte que
ce n’est plus la Bourse qui finance les entreprises mais les
entreprises qui financent la Bourse ; 2)
la contrainte actionnariale censure une part de plus en plus
importante de l’investissement en écartant les projets jugés
insuffisamment rentables (et "l’insuffisance" commence à
10% voire 15%...), par conséquent la Bourse est un frein au
développement économique ; 3)
les entreprises sont soumises par l’actionnaire à des contraintes
de gestion (modes managériales successives, court-termisme…)
incompatibles avec la conduite de moyen-long terme de projets
industriels ; 4)
et le comble du paradoxe est atteint lorsque les actionnaires
finalement découragent eux-mêmes le financement par action puisque
les nouvelles émissions ont des propriétés dilutives… LA
BOURSE N'EST PAS SORTIE DU CUL D'UNE POULE Mais
la Bourse s’est imposée dans le paysage, tout comme la météo ? F.L.
: C’est là typiquement le genre d’énoncé qui offre un
concentré pur de l’idéologie néolibérale : la naturalisation
des faits sociaux. Alain Minc n’est pas capable de bâtir un
"argument" économique sans invoquer la loi de la
pesanteur. Or la Bourse est une forme institutionnelle, elle n’est
pas sortie du cul d’une poule ni tombée du ciel. Elle a été
faite de main d’homme. Par conséquent elle peut être défaite
s’il apparaît qu’on y a plus d’avantages que d’inconvénients
– ce qui me semble notoirement le cas. Il y a eu un moment où on
s’est dit que l’institution "monarchie de droit divin"
était pénible. Elle a fini dans le même panier que la tête du
roi et depuis ça va mieux. On pourrait dire cependant que c’est
bien la loi de la pesanteur qui a fait tomber le couteau de la
guillotine… Mutatis mutandis bien sûr – on n’est pas des
sauvages – il se pourrait, vu sous cet angle, que MM. Minc &
Co découvrent un jour un aspect de la loi de la pesanteur qui ne
leur était pas apparu. IL
EST URGENT DE REMETTRE DES LIMITES AU CAPITAL ACTIONNARIAL QUI
N’EN CONNAÎT AUCUNE La
Bourse de Paris n’est-elle pas déjà fermée ? Le palais
Brongniard n’est-il pas depuis longtemps transformé en mini
palais des Congrés ? C’est
la seule chose vraiment regrettable puisque ça rend plus difficile
sa destruction physique, dont les bonnes propriétés symboliques et
carnavalesques ne devraient pas être méconnues. Au moins, mai 68
avait eu la possibilité de mettre le feu au palais Brongniart…
Mais vous-même feignez l’innocence et savez bien que la Bourse
existe, simplement sous la forme moins spectaculaire de très gros
serveurs informatiques bien planqués quelque part – où
d’ailleurs ? Question intéressante, n’est-il pas ? Les
évolutions techniques en matière de finance que vous évoquez
ont-elles profondément modifié le rapport de force entre la
finance et l’économie productive ? C’est
bien peu de le dire. Et c’est précisément parce que ce rapport
de force s’est renversé du tout au tout qu’il est urgent de
remettre des limites au capital actionnarial qui n’en connaît
aucune et, de lui-même, ne s’en imposera aucune. C’est pourquoi
les appels à la modération qui ont pour nom "moralisation du
capitalisme" sont d’une indigence qui partage entre le rire
et les larmes. L’emprise acquise sur les firmes par le capital
actionnarial au travers de la configuration présente du capitalisme
est un fléau que l’on ne réduira que par les mêmes moyens qui
l’ont imposé : une transformation radicale de structures. Des
contraintes de gestion aberrantes et des effets d’anti-financement
résument ce fléau qui naît bien moins de la dépendance
financière des entreprises aux apporteurs de capitaux (les
capitaux, les "apporteurs" les leurs prennent !) que du
contrôle des équipes dirigeantes par le cours de Bourse : si les
actionnaires sont mécontents, des ventes font baisser le cours,
l’entreprise devient opéable… et le patron éjectable.
L’histoire récente du capitalisme est (en partie) l’histoire
d’une lutte de puissance entre deux fractions du capital : le
capital financier et le capital industriel, le premier ayant reçu
de la modification des structures un pouvoir inédit qui lui a
permis de déposséder le second de son ancienne souveraineté. Et
de lui imposer tout et n’importe quoi. Et à la fin le capital
industriel passe le mistigri au salariat… OUI,
ON PEUT FERMER LA BOURSE DANS UN SEUL PAYS ! Les
promesses faites par la finance, en réalité celles issues de la
libéralisation des marchés, avec à la clé plus de croissance,
plus de richesse, n’ont-elles donc pas été tenues ? Après tout,
sans la Bourse, pas de Google, non plus de Microsoft ? C’est
vous qui le dites et il faudrait un ou deux arguments pour le
soutenir. Que des Google ou des Microsoft soient apparus pendant la
période de déréglementation financière ne prouve nullement que
celle-ci soit la cause sine qua non de ceux-là. La seule chose dont
on soit certain est que, sans Bourse, pas de Bill Gates et de Larry
Page multi-milliardaires… C'est
vous qui le dites et il faudrait un ou deux arguments pour le
soutenir. Que des Google ou des Microsoft soient apparus pendant la
période de déréglementation financière ne prouve nullement que
celle-ci soit la cause sine qua non de ceux-là. La seule chose dont
on soit certain est que, sans Bourse, pas de Bill Gates et de Larry
Page multi-milliardaires… On
ne peut pas dire que ce soit un avantage économique indéniable. Il
est vrai cependant que le financement des start-ups technologiques
est l’argument de dernier recours pour justifier la finance
actionnariale mais au travers de ce compartiment très spécial et en
fait très étroit de l’amorçage et du venture capital. La
perspective de l’introduction en Bourse y est présentée comme
stratégique précisément du fait que le financement de l’innovation
radicale est hautement incertain, finit mal neuf fois sur dix, et
qu’il faut décrocher le pompon sur la dixième pour rattraper les
neuf autres. Mais une telle économie de la péréquation est très
concevable hors de la Bourse et on pourrait parfaitement l’imaginer
opérée au travers d’instruments de dette un peu sophistiqués à
base de taux d’intérêt variables indexés sur les profits des
start-ups par exemple. Rien
dans leur financement ne justifie incontestablement de maintenir un
passage par la Bourse, à part le désir de l’enrichissement hors
de proportion de créateurs d’entreprise et de business angels mus
au moins autant par le projet de faire fortune que par celui de créer
quelque chose. Pour
ce qui est de la contribution de la finance à la croissance, je vous
suggère de comparer le taux de croissance moyen des trente
glorieuses, donc sans finance dérégulée et avec une Bourse
croupion (5% l’an en moyenne), et celui de la période de
hourrah-dérégulation depuis deux décennies. L’affaire est vite
vue. Et ceci n’est nullement un plaidoyer passéiste mais
simplement l’idée – logique – qu’un contre-exemple suffit à
ruiner une généralité. Dont nous ne devrions donc plus être
prisonniers.
La fermeture de la Bourse peut elle s’envisager dans un seul pays ?
Pour le coup oui ! Ce sont toutes les mesures "intermédiaires" qui font hurler au péril de la fuite des capitaux. Mais en fermant la Bourse, c’est nous qui mettons les capitaux à la porte ! Et pour autant ceci ne signifie nullement une économie privée de fonds propres. L’idéologie actionnariale a fini par faire oublier que les capitaux propres, ce sont les entreprises qui les sécrètent par leurs profits… dont elles vont se faire dépouiller à la Bourse. L’autofinancement, le crédit bancaire et éventuellement des marchés obligataires constituent un mode de financement tout à fait viable de l’économie.
Faire fuir les traders
Une fois la bourse fermée, ou iraient les cerveaux bien formés que les super rémunérations issues de la finances attirent dans les salles de marché ? De deux choses l’une, ou bien ils foutraient le camp et iraient exercer leurs nuisances ailleurs, ou ils mettraient leurs supposées intelligences au service d’activité socialement plus utiles et dans les deux cas on ne s’en porterait que mieux. Il est grand temps de se désintoxiquer de l’idéologie des "compétents", dont l’incompétence est pourtant spectaculairement démontrée jour après jour, mais dont il faudrait néanmoins satisfaire toutes les exigences sous la menace de les voir partir. La question des bonus et des rémunérations est entièrement captive de cette grande illusion. Je dis que le départ des "meilleurs" traders est une bénédiction :
1) ne resteront que les moins finauds auxquels il faudra ne confier que les produits les moins sophistiqués… donc les moins risqués ;
2) si le problème économique posé par les bonus ne doit pas être sur-estimé, le problème politique de justice sociale et d’inégalités obscènes est lui de première importance, c’est pourquoi, non pas limiter mais interdire les bonus, et éventuellement faire fuir les traders, est une solution à envisager très sérieusement car ces extravagantes rémunérations ont le caractère d’un trouble à l’ordre public ;
3) la finance est un pôle d’attraction qui a profondément distordu l’allocation du capital humain dans la division du travail en captant des esprits qui seraient infiniment mieux employés ailleurs. Quant aux "compétents" non traders, s’ils savaient… Il y en a quinze derrière eux qui feraient le travail aussi bien qu’eux. En fait, ce n’est pas vraiment la fermeture de la Bourse que vous prônez, mais une sorte de ralentissement de son cours, que vous décrivez comme infernal. En quoi, la fin de la cotation permanente, c’est à dire en continue des titres est-elle apte à redistribuer les cartes ?
Mais si mon bon monsieur, c’est bel et bien la fermeture de la Bourse que je prône ! Je concède que c’est un peu rude à avaler… Cependant pour les petits estomacs, j’ai une sorte de formule à la carte, avec un étagement de recettes anti-actionnariales rangées dans l’ordre de l’épicé croissant. En amuse-bouche, je propose, en effet, de commencer par une formule de "ralentissement" en abolissant la cotation en continu, remplacée par un fixing mensuel (ou plurimestriel). Puis on entre dans le roboratif avec le SLAM (Shareholder Limited Authorized Margin) qui est un impôt non pas sur les profits d’entreprise (comme on le lit parfois) mais sur la rentabilité actionnariale, et qui plus est un impôt de plafonnement : c’est-à-dire qui prend tout au-delà d’un certain seuil maximal autorisé de rentabilité, le but de la manœuvre étant de cisailler les incitations actionnariales à pressurer toujours davantage les entreprises puisque tout ce qu’elles leur feront cracher en plus pour les actionnaires leur sera confisqué. Le plat de résistance bien sûr, c’est la fermeture de la Bourse elle-même. Chacun puisera là dedans selon son appétit politique et la conjoncture du moment. Pensez-vous que les partis de gauche de gouvernement soient capables d’intégrer vos arguments ?
Les partis de gauche de gouvernement mangent des graines et font à peine cuicui.
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