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[rue] RE: Coup de fil à Songy


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  • Subject: [rue] RE: Coup de fil à Songy
  • Date: Sun, 11 Dec 2011 22:32:46 +0100


Je ne sais pas écrire, mais je sais lire, et Chtou c'est comme du Paulo, du
Fred, du Jacques, du Jean Luc, du Pierre, du Pascal, du Marc, du Thiery, et
tous les autres... qui ont peur de réagir sur la liste!
Aurillac moi aussi j'ai trop donné./

Jean Michel.

-----Message d'origine-----
De : Chtou
[mailto: ]

Envoyé : dimanche 11 décembre 2011 21:40
À : Liste Rue
Objet : [rue] Coup de fil à Songy

Je suis ingénieur en informatique et j'ai quitté un poste à 2500 euros net
pour faire du théâtre de rue.
J'ai senti que cette vie que j'avais si brillamment tenue, à la lumière de
ma famille, me mènerait un jour au désastre.
Au fil des ans, j'ai compris que toute la formation intellectuelle que
j'avais suivie ne me rapprocherait en rien de la nécessité sensible
d'incarner celui que j'avais toujours désiré être.
Quelqu'un de simplement bien dans sa peau.
Quelqu'un qui ne serait pas le pathologique timide que je suis encore
aujourd'hui.

Mais je travaille sur moi-même.
Et notre compagnie, ses échecs et ses victoires, m'y aident, et me
confortent.
Aussi, lorsque j'en avais fini la lecture ce samedi, j'avais d'un geste un
peu trop théâtralisé pour m'être naturel, balancé le dernier numéro de
Stradda en travers de l'appartement.
Insipide torchon. Abonné pour je ne sais quel sentiment corporatiste par la
compagnie, voilà des années que je me fadais ces pages aux maquettes
frigorifiées, aux tons institutionnels, qui écrivaient sur les enjeux de la
rue comme l'on s'épand sur ceux des scènes nationales, avec cet esprit
contemporain si commun, au goût métallique d'aluminium brossé.
Des années que dans leur verbiage pompeusement intellectualisé sensé porter,
par son rang même, nos pratiques de fieffés routards aux nues
ministérielles, ils tiraient quelques articles sur des compagnies de mes
amies, que je jalousais furieusement.
Une fois de plus, j'avais parcouru cet objet labellisé Hors Le Monde, et
conclu qu'il était aussi éloigné de mon éthique que peuvent l'être ces
journalistes parisiens qui se salarient de subventions justifiées à la sueur
d'autres fronts besogneux, à la graisse d'autres mains ferrailleuses.
L'indécence du détournement était à la hauteur de ma frustration de n'y
paraître, immortalisé au côté de mes pairs.

Qu'importait après tout.
Ce n'était pas avec ce genre de gloriole que j'allais trouver une cour à
Aurillac.
Puisque le fond du problème, l'impérieuse réalité, la terrible nécessité,
était bien là.
Pour m'abrutir un peu et jouer mieux le rôle que je m'étais dessiné, je
débouchais une bonne bouteille de Corbières, et commençais à la siffler
goulûment.
Je sentais la pression poindre, je palpais l'angoisse mêlée au sentiment de
détresse que m'apportaient chaque année les lumières de Noël.
Déjà quelques coups de fil de connaissances me demandant si nous organisions
une cour cette année pour s'y joindre, sonnaient le début de ma tourmente.
Il allait falloir être plus pertinent que les années précédentes, et trouver
un lieu adapté au spectacle, pour assurer les dates de l'année à venir.
Pas question d'être abandonné rue des carmes avec un spectacle de rue
certes, mais intimiste, et de se démener lamentablement devant des
professionnels implacables, au beau milieu des déchirés d'un été, qui
achevaient leurs vacances clochardes par un raout final avant de retourner à
la fac.

Mais où? Où donc pouvions-nous jouer dans de décentes conditions?
Ha si seulement nous avions la chance, enfin, d'être accueillis en In!
Ne le méritions-nous pas? Quelles preuves fallait-il encore faire, quand le
public nous acclamait pourtant?
En In alors, pas de problème!
Tu parles, t'es pris en in, tu dis à Songy: je veux jouer là! et c'est bon!!
J'allais me chercher un grand verre après tout, et y vidais ce qui restait
de la bouteille.
Tu réquisitionnes la cour de l'application si tu le souhaites! Ou comme
Tablantec si tel est ton désir, tu te fonds, bravache, place st Géraud,
comme un gueux, puisque t'es le roi!
Haaaaaa mais mais tu parles, va-zy oui mecton pour jouer dans le In!!
A part ces putains d'exceptions, ce in, c'est sempiternellement les mêmes
qui y sont tout le temps!!!
Tout le temps les mêmes, bordel!!! Il faudrait sortir des statistiques pour
voir ça!!!
Fin véner, je passais au rhum-redbull et piquais une clope à mon
collocataire, grisé par cette délicieuse cuite en solo.
Je ricanais subitement, les pieds sur la table du salon...
J'avais une bombe entre les mains... une grosse grosse bombe...
J'avais choppé le numéro de Songy.

Intrigué par un mail "anonymous" sur la liste rue balançant une histoire de
"Loge", un groupuscule caché réunissant les pontes de la rue pour oeuvrer à
leurs intérêts propres, j'avais poussé plus loin le contact avec le
mystérieux mail et obtenu confirmation: à la barbe de la fédé, une poignée
de décideurs antidémocrates avaient créé un think tank, un lobby. Et
l'inconnu, à défaut de me lâcher tous les contacts, m'avait passé ceux de
Songy, en me disant: si t'a à te plaindre, voilà ou taper!
Je tapais donc convulsivement le numéro, prêt à lui en foutre plein la
gueule...

"Allo?"
"Ouais salut Songy, c'est moi. Juste pour te dire un truc. Je suis dans une
compagnie, et on a un super succès public. Mais tu sais quoi? J'ai les
boules parce que je sais que tu nous prendras jamais dans ton in, et tu sais
pourquoi? Parce que putain c'est tout le temps les mêmes, c'est une misère.
Voilà, je t'appelle juste pour te dire que j'en ai plein le cul de voir
toujours les mêmes mecs, tes potes, programmés, j'en ai plein le cul de lire
illotopie, générik vapeur, transe express, j'en ai plein le cul de
burattini, de machin-mes-couilles et compagnie qu'on revoit année après
année, c'est fatigant tu me comprends?
On a juste l'impression que vous êtes une bande de potes tout fermés là,
dans votre loge à la con, et que vous vous auto-congratulez à vous
entre-programmer et tu sais quoi?
Ben ça nous fout les boules à nous la nouvelle génération, parce que non
seulement on a bien compris qu'on fera jamais partie de votre délire, mais
en plus de ça on en veut même pas, voilà tu saisis?
Vous nous cassez les couilles bande de vieux fumiers, voilà, je t'appelais
pour te dire ça, que ta programmation en boucle fermée c'est une vieille
sacoche qui pue.
Tu m'as bien compris ou je répète???!"

Il y a eu un petit silence.

"Je vais te dire un truc, je ne te connais pas, je ne te souhaite pas que
j'apprenne qui tu es, mais je vais te dire un truc. Ca me gave, de les
prendre en In, moi aussi.
Tu vois, mettons Transe express, parce que tu m'en parles. Ouais c'est mon
pote. Mais c'est plus que cela. C'est du lourd. C'est juste de la créa à un
budget considérable, qui n'aura jamais la possibilité de jouer dans les
petits festivals dans lesquels je pense que tu barbottes.
Quand tu joues à l'échelle d'une ville, en visant Santiago, Londres ou Los
Angeles, combien de programmateurs peuvent te suivre en France?
Et voilà, je sais que si je ne le prends pas, le Rhodes, il n'aura pas
l'occasion de rencontrer les 70 programmateurs étrangers qui sont descendus
à Aurillac pour lui.
Et du coup une compagnie historique, de notre histoire commune, à toi et
moi, va capoter.
Et tu sais quoi? En plus de ce devoir que j'ai sur sa compagnie historique,
j'ai aussi celui de la vie des arts de la rue en tant que fleuron
international français.
Le ministère il ne voit que cela. Les arts de la rue à la rue, il s'en bat
les cacahuètes, il veut de l'excellence culturelle Française.
Et pas du Goulu, du massif, de la grosse équipe, du visuel plein écran.
Toutes les subventions que reçoit notre secteur doivent à cela.
Donc si je le reprends, c'est aussi pour les arts de la rue en général, et
pour leur avenir, et pour permettre à la Françe, la Nation, de développer
une spécificité culturelle, tu vois l'enjeu?
Alors bon, même si la nouvelle créa d'untel elle est complètement nulle à
chier, et ben je les reprendrai.
Et ça me fera chier parce qu'elle sera hyper chère, et que je serai dans la
merde pour développer d'autres trucs, mais je ne peux pas faire autrement.
Voilà. J'espère que t'a compris, machin. Maintenant oublie mon numéro, ou
t'aura des soucis, ok? Ciao."

Je souriais béatement.
Pas mal, cet enfoiré de Songy, il m'avait cloué.
La clope m'avait tourné la tête. Mais j'avais encore la patate.
J'appelais Rod pour lui dire de passer, que je lui raconte mes exploits.
Voir dans ces yeux l'estime qu'allait à coup sur engendrer pareil coup de
force valait toutes les thérapies du monde.
Et puis merde, Aurillac, Songy et tous les In du monde, je m'en fous.
Je m'en fous.
Et j'adore m'en foutre.
Je suis libre, je joue dans la rue, et j'emmerde le In d'Aurillac.
A la tienne, putain de Loge.
Et à la vôtre, frères de Plèbe...






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